Le parlêtre à l’épreuve du noeud

par René Fiori

La journée d’études organisée conjointement par L’Envers de Paris et l’Association Cause freudienne-Île-de France au mois de décembre 2025, Fantasmes contemporains du corps, est l’occasion de se plonger dans le beau livre d’Anne Colombel-Plouzennec : Lacan et les nœuds. Corps vivant, corps jouissant, corps parlant paru aux Presses Universitaires de Vincennes, dans la collection Arguments Analytiques.

L’auteure nous invite à un parcours inédit dans l’enseignement de Jacques Lacan et de Jacques-Alain Miller, en s’aidant aussi de quelques autres, sur un sujet qui reste difficile dans son abord clinique et théorique, soit la théorie des nœuds dans le tout dernier enseignement de Lacan. Ce tissage minutieux, éclairant, qui invite délicatement le lecteur, avec le souci de ne laisser aucun terme ou concept dans l’obscurité de l’ambiguïté, à s’aventurer dans ce qui a poussé Lacan à s’en saisir pour éclairer la clinique, fait de ce livre un vade-mecum quasi indispensable.

La finalité qui oriente tout le propos est claire : en quoi la théorie des nœuds éclaire-t-elle la clinique, celle d’hier et d’aujourd’hui ? L’écrivain James Joyce en est bien sûr un cas paradigmatique, mais il ne s’agit pas d’en rester là. Pour aborder en quoi « cette monstration tactile de ce qui ne peut, ni se dire, ni se voir [1] » enrichit la clinique, le premier enseignement de Lacan n’est pas à délaisser, bien au contraire. Il vient en contrepoint accentuer la pertinence de ce nouvel abord. La clinique du parlêtre éclaire et prolonge la clinique du sujet. Des distinctions se déploient : le symptôme et le sinthome, la lettre littérale et la lettre littorale, l’unien et l’unaire, le sentiment de la vie, la vie, et le vivant, le moi et l’ego (sans le moi), l’ex-sistence et la consistance, le trou et le manque, l’ontologie et l’hénologie, agrafe, suture, raboutage et épissure, les Noms-du-père et la nomination, forclusion restreinte et forclusion généralisée, substance signifiante et substance jouissante… Le prisme de chacun des registres : Réel, Symbolique, Imaginaire, présents depuis 1953 dans l’enseignement de Lacan, auxquels s’adjoindra celui du sinthome, est aussi considéré selon ses différentes faces.

Solliciter, convoquer un tel appareillage permet certes d’aborder la clinique de Joyce, évoquée dans notre titre, mais aussi celle du petit Hans, tout comme celle qui relevait des catégories aujourd’hui en désuétude : névrose, perversion. Pour tout sujet se pose la question : quel opérateur lui a permis, lui permet, lui permettra encore, d’associer réel et symbolique [2] pour que le vivant, le jouissant, le parlant continuent à animer son corps ? La dernière partie du livre, proprement clinique dans les questions qu’elle soulève, et qu’elle partage avec d’autres collègues du Champ freudien, prolonge le débat en cours depuis que Jacques-Alain Miller a abordé le tout dernier enseignement de Lacan. Elles tournent autour d’un point cardinal : les nœuds permettent-ils une orientation à notre pratique et à la clinique des nouveaux symptômes que produit la scientifisation de l’existence. Celle-ci emporte le domaine de la santé mentale, ce qui conduit à une relative dépathologisation des sujets, à de nouvelles identifications et donc à de nouvelles catégorisations des symptômes, selon les biais comportemental et neurologique.

 

 

[1]Colombel-Plouzennec A., Lacan et les nœuds. Corps vivant, corps jouissant, corps parlant, Paris, PUV, coll. Arguments analytiques, 2022.

[2] Ibid., p. 95.