Du consentement dans la législation : une question qui ne cesse pas ?

Du consentement dans la législation : une question qui ne cesse pas ?*

Par Magali Lutrand

La question du « consentement » a surgi ces dernières années, d’abord dans le monde anglo-saxon, jusqu’à venir aux devants des débats politiques en France en 2018, interpellant le législateur. Si cette question n’est pas nouvelle pour la Justice, voyons comment la législation française a évolué concernant la reconnaissance des attentats sexuels dans leurs différentes formes et en particulier la question du consentement, soit la position subjective des victimes dans leurs particularités…

En France, les règles légales qui régissent les relations entre un mineur et un adulte étaient déjà inscrites dans le premier Code pénal de 1810, sous le chapitre Attentat aux mœurs, mis en place par Napoléon. La loi faisait la différence entre « l’outrage public à la pudeur » (article 330) et le « crime de viol » (article 331). La loi ne définissant pas le « crime de viol », la jurisprudence le considérait comme un coït illicite imposé par un homme à une femme, qu’il sait ne point consentir[i]. Le terme illicite concerne les relations sexuelles hors mariage : il n’y avait donc point de viol entre époux et les hommes ne pouvaient pas être violés. Il n’était pas non plus question de viol digital, anal ou buccal. Par ailleurs, seule la violence physique pouvait être retenue à l’époque pour caractériser l’absence de consentement. 

Dans ce cas, le code pénal parle d’attentat à la pudeur, pour qualifier les relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins de 15 ans. Ce seuil n’a cessé d’être relevé depuis l’introduction de ce délit, soulignant la difficulté à définir une telle limite. De 11 ans en 1832, il est passé à 13 ans en 1863, puis à 15 ans en 1945.

En 1994, le nouveau code pénal abandonne la notion d’attentat à la pudeur pour les catégories d’agression sexuelle et atteinte sexuelle. Toutes deux sont des délits, jugés devant un tribunal correctionnel. L’atteinte sexuelle sur mineur réprime les relations sexuelles entre un mineur de moins de 15 ans et un adulte. En cas de non consentement – soit quand preuve est faite de la contrainte, surprise ou violence – l’acte peut être qualifié d’agression sexuelle, s’il est commis sans pénétration (attouchement, caresse…). À ce jour, de nombreuses plaintes pour viol sont requalifiées en agression sexuelle afin d’assurer des délais de justice plus courts, les assises – qui jugent les crimes – étant surchargées et l’issue plus aléatoire du fait de la présence d’un jury populaire. La correctionnalisation du viol en délit est notamment permise en 2004 par la loi Perben II, qui empêche par exemple le tribunal correctionnel de se déclarer incompétent s’il estime que le viol est constitué. Cette pratique est très décriée au sein des milieux associatifs.

En 2017, deux affaires judiciaires remettent la question du consentement sexuel des mineurs au cœur du débat public. En novembre, la cour d’assises de Seine-et-Marne prononce l’acquittement d’un homme accusé du viol d’une fille de 11 ans[ii]. Selon l’accusé, âgé de 22 ans au moment des faits, il s’agissait d’une relation consentie. Quelques semaines plus tôt, le parquet de Pontoise (Val-d’Oise) décide de poursuivre pour « atteinte sexuelle », et non pour « viol », un homme de 28 ans qui a eu une relation sexuelle avec une enfant de 11 ans[iii]. Les enquêteurs ont considéré que cette relation était consentie, car aucune contrainte physique n’a été exercée sur la mineure. 

Les deux affaires éclatent alors que le gouvernement prépare son projet de loi contre les violences sexuelles et que se pose l’idée d’inscrire un âge de présomption d’absence de consentement sexuel[iv]. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) défend le seuil de 13 ans (soit le même âge que la possibilité de détention pour un mineur au pénal). Le gouvernement inclut dans la Grande Cause Nationale du Quinquennat l’âge de 15 ans. Très attendu par les associations, cet âge de consentement a cristallisé les critiques. Une première version du texte qualifiait de viol tout acte sexuel commis sur un mineur de 15 ans (soit 15 ans et moins), mais le Conseil d’État a estimé que cette formulation pouvait porter atteinte à la présomption d’innocence et donc être jugée inconstitutionnelle. Si la loi de 2018 contre les violences sexuelles apportera certaines précisions quant à la « vulnérabilité » des mineurs de 15 ans ou augmentera le délai de prescription, le gouvernement abandonnera finalement l’instauration d’un âge de consentement, provoquant l’indignation des associations.

Il semble intéressant de constater la difficulté du milieu judiciaire à circonscrire cette question du consentement, question pourtant déjà ancienne, mais qui semble ne pas cesser de ne pas s’écrire, si ce n’est au cas par cas d’une prise de parole dans la rencontre avec un analyste. « Si j’ai évoqué le sujet du droit, c’est bien parce que le sujet dont il s’agit dans la psychanalyse n’est pas un sujet de fait. Quels que soient les faits, ils ne comptent qu’à partir du dit, c’est-à-dire de la position que le sujet prend par rapport à […] son dire. […] Il se modalise de toutes les positions que le sujet peut prendre à l’endroit du signifiant » et de la jouissance[v]. C’est ce que nous ont enseigné les cas déployés dans notre cartel fulgurant, en préparation des J50, organisé dans le cadre de L’Envers de Paris, à partir de la clinique d’un service de protection de l’enfance judiciaire[vi].

* Nous remercions Mme Sophie Machinale, Juge des Enfants, formatrice au droit de la famille, pour sa relecture et ses précisions.

[i]. Cf. Iacub M., Le crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Paris, Flammarion, 2002.

[ii]. https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/l-acquittement-d-un-homme-juge-pour-viol-sur-une-mineure-de-11-ans-fait-polemique_2463480.html

[iii]. https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/droit-et-justice/relation-sexuelle-a-11-ans-le-parquet-ne-poursuit-pas-l-homme-de-28-ans-pour-viol_2395234.html

[iv]. Cette présomption existe déjà dans plusieurs pays qui considèrent qu’en deçà d’un certain âge, un enfant ne peut être consentant lors d’un acte sexuel : 14 ans en Allemagne, Belgique, Autriche ; 16 ans pour l’Angleterre et la Suisse, 12 ans en Espagne et aux États-Unis.

[v]. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 18 novembre 1987, inédit.

[vi]. Service de l’AVVEJ (Association Vers la Vie et l’Éducation des Jeunes), agréée par le Tribunal des mineurs de Bobigny (93).