Né dans les années 1990, le numérique a provoqué une véritable révolution. Il a transformé le monde qui nous entoure et les relations avec nos proches. Internet et les réseaux sociaux constituent un instrument fondamental qui allège notre vie quotidienne, facilite les échanges et augmente nos connaissances. À ce formidable outil de recherche s’est joint un « marché de l’attention » qui se sert de notre dépendance pour mieux vendre ses produits. Notre temps et notre espace ne nous appartiennent plus. Nous avons été gagnés par l’accélération de notre monde. L’usage compulsif des appareils connectés a provoqué des d’addictions nouvelles, le multitasking, des troubles de l’attention, les selfies et les story et les likes, l’inflation de l’égo … Comment interpréter ce nouveau paradigme à l’aide du discours analytique ?

Le titre choisi à l’occasion des journées de l’Envers de Paris et de l’ ACF Île-de-France vient pointer une double lecture. D’un côté, « Les nouveaux symptômes du numérique » fait entendre les effets de l’ère digitale. C’est ce qui achoppe pour les êtres parlants depuis que ces usages ont révolutionné notre monde. Tout ce qui découle de cette nouvelle donne dans nos vies, tout ce qui nous accable en même temps que tout ce qui nous procure une satisfaction, si nous suivons la définition lacanienne du symptôme.

D’un autre côté, le numérique prend le statut d’un symptôme du malaise dans la civilisation. Ces appareils auxquels nous sommes appareillés — et cela bien avant l’ère digitale — ne sont-ils pas des prolongements de nos fonctions corporelles, comme le disait déjà Sigmund Freud ? : « Grâce à tous ses instruments, l’homme perfectionne ses organes-moteurs aussi bien que sensoriels — ou bien élargit considérablement les limites de leur pouvoir ». Et s’ils prolongent nos fonctions corporelles, c’est qu’ils deviennent nos symptômes à nous. Lacan met de relief que nous sommes appareillés au langage et que notre vouloir dire recouvre un vouloir se satisfaire. Dans quelle mesure ces nouveaux langages appareillent ce que l’être parlant a de plus intime ? : « Est-ce qu’on acquiert un bien ou est-ce qu’on se fait prendre dans un système qui nous dévore insidieusement à notre insu ? ».

Dans cette Journée de l’Envers et de l’ACF Île-de-France, le 9 décembre prochain, nous serons amenés à explorer ce passionnant sujet sous différentes facettes. Qu’est-ce qui change dans la rencontre amoureuse « sous algorithme », quelles sont les nouvelles sublimations du numérique, de quelle façon l’intelligence artificielle s’introduit dans la société, de quoi sera faite l’ère du Métavers, quels avatars pour l’image du corps lorsque nous sommes obligés de nous montrer sur un écran ? Jacques Lacan avait trouvé un nom pour l’espace crée par les objets de la science : l’aléthosphère, où se conjuguent alètheia (vérité) et sphaira (la sphère, le monde environant). L’ère digitale est devenue le nouveau théâtre de la vérité. Dans « Le triomphe de la religion », en 1974, il signalait déjà, à propos de la télévision, la dévoration des gadgets à laquelle nous consentions.

Jacques Lacan avait déjà entrevu l’enjeu délicat de la position de l’analyste en phase avec la société : « Qu’y renonce plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque. Car comment pourrait-il faire de son être l’axe de tant de vies, celui qui ne saurait rien de la dialectique qui l’engage avec ces vies dans un mouvement symbo-lique. Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages ».

Dalila Arpin