LA CONVERSATION CLINIQUE

Jacques-Alain Miller
et autres auteurs

LA CONVERSATION CLINIQUE

Ce livre propose au lecteur d’entrer dans les conversations cliniques que les psychanalystes peuvent avoir entre eux à propos du cas d’un patient. Il y trouvera ainsi l’exposé et la discussion de huit cas.

L’orientation que Jacques-Alain Miller a toujours donnée à la clinique est celle de l’accueil de la parole du patient, considéré dans sa singularité. Ce n’est donc pas une clinique close, du « dernier mot », mais une clinique évolutive, dialectique. Car il s’agit, avant tout, de saisir en quoi l’analyse est aussi une conversation sous transfert, qui vise à saisir ce que le sujet a de plus réel, son symptôme.

L’ouvrage se conclut sur un entretien clinique unique, conduit par J.-A. Miller, dont la discussion est reprise dans son entier.

La Conversation pour une clinique très vivante

Jean-Daniel Matet

Au départ, le Conciliabule d’Angers a fait place à la Conversation d’Arcachon. Cette conversation s’est poursuivie au point d’en constituer une méthode particulièrement adaptée à la recherche clinique dans le Champ freudien, en prenant au sérieux les nouages singuliers de chaque parlêtre quand il consent à l’association libre. La pratique psychanalytique trouve ainsi son cadre à l’opposé des indications diagnostiques qui feraient limite. La notion de psychose ordinaire y fut dégagée par Jacques-Alain Miller, relançant vigoureusement l’approche de notre clinique, soulignant les enjeux des débats d’un moment sans sceller dans le marbre les catégories. L’ambition n’est pas comme il le rappela, que ces conversations soient le tout de la psychanalyse, la clinique de la passe déployée dans les Écoles de l’AMP en témoigne. Ces conversations se poursuivent chaque année avec comme base commune de parler de « l’expérience psychanalytique dans la même langue » (p. 9), celle de l’orientation lacanienne.

Ce qui émaille ces Conversations et en fait leur sel, loin d’une simple série qui actualiserait un savoir constitué, ce sont ces trouvailles ciselées comme chez l’orfèvre qui dévoile la structure de cristal qu’elles recèlent. Elles sont nombreuses dans ce volume. Cinq textes d’orientation font le lit de ces conversations successives à travers six cas. C.S.T. de J.-A. Miller s’élève à la hauteur d’un mathème en ce qu’il permet la transmission, et le texte de d’Éric Laurent rassemble dans la doxa lacanienne les conditions du transfert dans la psychose. La description fine des effets du transfert suffit à démontrer que le « tout venant » peut s’emparer de cette offre sans a priori sur la psychanalyse, ce qu’indiqua Lacan à la fin de son enseignement.

La présentation de malade faite par J.-A. Miller, commentée par les participants du Groupe d’Actualisation Clinique, est un document exceptionnel. Là encore ce sont les notations fines, les formulations renouvelées, qui font la force de cette clinique singulière propre à s’adapter à la particularité du un par un, de celui ou de celle qui trouve sa solution dans la solitude quand pour l’autre, il aura renoué avec ses semblables. L’attention se porte sur telle ou telle arrête de ce cube qui figure le réel et les échanges témoignent de l’angle d’où il s’appréhende.

La clinique qui s’élabore, qui s’échange dans ces conversations, ne vise pas le qualificatif de moderne bien que contemporaine, car le transfert met à jour des signifiants dont on peut espérer qu’ils modifient le régime de jouissance qui affecte un sujet. Donc : nouveaux symptômes plutôt que sujet moderne.

La lecture de cet ouvrage, le crayon à la main, réserve bien des surprises sous la forme de notations, réflexions qui précisent, renouvellent, resserrent en élevant ces conversations à la hauteur des meilleur débats scientifiques. Continuons à faire une place à l’objet a de Lacan, renouvelons une définition du signifiant du transfert, avec une définition de l’interprétation comme « un art de la tactique sur le terrain ». Le délire ne s’accommode pas nécessairement de l’association libre à la recherche d’un secret qui n’existe que dans le fantasme du névrosé.

Enfin, c’est un enchantement de découvrir ces perles qui témoignent du caractère extrêmement vivant de cette clinique et des ressources de la psychanalyse à son service.

 

Donner le goût de la Conversation

Monique Amirault

 Pourquoi psychanalystes et cliniciens d’orientation lacanienne se pressent-ils aussi nombreux, chaque mois de juin, à Paris, pour participer à la « conversation clinique », cette formule de travail inédite inventée et réinventée année après année, depuis treize ans, par Jacques-Alain Miller ? Point de capiton de la formation des institutions UFORCA, la conversation clinique conjoint la permanence d’une orientation commune, l’orien-tation lacanienne, et la surprise à chaque fois renouvelée des travaux exposés, prolongée par les trouvailles qui émergent des échanges eux-mêmes. Le désir et le transfert sont au rendez-vous et chacun repart avec une question, un signifiant nouveau à déplier qui fera son chemin, un bout de savoir à explorer, un éclairage inattendu.

On verra dans La conversation clinique que la clinique analytique est faite de « choses de finesse », clinique du détail et non du classement, des catégories. On sera sensible au tact qu’elle exige, à l’acte de jugement qu’elle nécessite, car aucun standard, ni protocole préalable ne répondent au réel en jeu. D’où l’importance de l’engagement de l’analyste qui, dans le transfert, est appelé à pratiquer « un art de la tactique sur le terrain », lorsque « cela tient sur une tête d’épingle. » (J.-A. Miller). « Rester le plus impassible possible » (H. Bonnaud), « saisir un signifiant au vol » (I. Orrado), ou remettre le savoir entre les mains du sujet – « Vous en savez beaucoup plus que moi » (B. Lecoeur) – témoignent de cet art.

Des signifiants nouveaux émergent au cours de la conversation. Relevons « la psychose à sublimation » (J.-A. Miller), « l’Autre rompu » qui vient à la place de l’Autre barré, ou encore l’analyste comme « celui qui suit » et non plus sujet supposé savoir (É. Laurent).

Ajoutons la dimension politique de la clinique psychanalytique telle qu’elle se dégage de ce volume. Car à l’inexistence de l’Autre, chacun doit répondre en inventant sa règle propre, sa solution inédite pour traiter le réel (C. Dewambrechies-La Sagna), solution qui passe, dans le lien social, par le symptôme. C’est dans ce travail d’invention que nous accompagnons chaque parlêtre, ouvrant une voie de résistance à l’alternative du modèle pharmaco-bio-social ou comportemental. (J.-D. Matet). Chaque cas exposé et discuté en témoigne.

Lors de l’ouverture de la Section clinique, en 1977, Lacan définissait ainsi la clinique psychanalytique : « La clinique psychanalytique consiste dans le discernement de choses qui importent et qui seront massives dès qu’on en aura pris conscience »

Cette conversation clinique en fait la juste démonstration.

 

L’accueil de la parole analysante

Jean-Robert Rabanel

 Je salue avec un grand intérêt la sortie dans la collection Le Paon, Le Champ freudien éditeur, de la dernière publication de l’UFORCA : La conversation clinique.

La clinique sous transfert est ce qui caractérise la clinique psychanalytique dans le Champ freudien depuis et le texte de J.-A. Miller « C.S.T. » que l’on trouve reproduit dès le début du volume en donne les lignes directrices.

Les remaniements conceptuels qui caractérisent le dernier enseignement de Lacan par rapport au Séminaire XI, spécialement concernant le transfert, nécessitaient une mise à jour. C’est chose faite avec cet ouvrage d’UFORCA coordonné par Guy Briole qui présente les caractéristiques de la conversation clinique dans son propos introductif, puis avec les textes de Carole Dewambrechies-La Sagna et de Jean-Daniel Matet, qui retracent l’historique de la question de la clinique, les formes du malaise qui se transforment avec l’évolution du monde.

Le contenu de l’ouvrage est entièrement consacré à la conversation clinique qui est présentée comme une caractéristique de l’époque où l’Autre n’existe pas. C’est ce point que développe tout spécialement Éric Laurent dans une analyse très rigoureuse où il propose une lecture minutieuse de la leçon du 10 mai 1977 du Séminaire XXIV sur ce que devient le transfert dans le dernier enseignement de Lacan, en parallèle avec le cours de J.-A. Miller du 14 mars 2007. Les remaniements conceptuels du Séminaire XI à partir du Séminaire XX – parlêtre, partenaire-symptôme, lalangue, le corps parlant, la vérité menteuse, le transfert, l’Autre rompu – sont autant de points soulignés par É. Laurent.

Les huit textes présentés au cours de ces dernières années lors des Colloques UFORCA sont autant de témoignages de la clinique psychanalytique et spécialement de la position de l’analyste par rapport à l’accueil de la parole analysante. L’enseignement de J.-A. Miller est au détour de ces conversations qu’il marque d’une invention toujours renouvelée.

Un document unique termine cet ouvrage avec la retranscription d’une présentation clinique conduite par J.-A. Miller dans le cadre du Groupe d’Actualisation Clinique et qui donne le ton à la conversation qui se révèle ouverte, soucieuse du détail, inventive bien que toujours au plus près des énoncés du patient. On y apprend beaucoup.

Ce livre témoigne des inestimables ressources de l’enseignement de Jacques Lacan et de sa rénovation. Il revenait à l’UFORCA de se saisir du signal de ce tournant dans l’orientation lacanienne donnée par J.-A. Miller.

C’est dire l’importance de ce livre dont nous ne doutons pas que le succès qui lui est promis le placera à la hauteur des trois conversations Angers, Arcachon et Antibes qui le préparent.

Un volume indispensable

Pierre-Gilles Guéguen

Le livre qui porte ce titre fait partie d’une collection éditée par Le Champ Freudien et qui nous accompagne depuis qu’un jour de 1996 à Angers, à l’initiative de Jacques-Alain Miller, la réunion qui devait devenir annuelle de l’Uforca a lieu. Il en résultait le premier de ces volumes constitué de textes et de cas soigneusement travaillés et choisis pour donner matière à une discussion collective. C’était Le conciliabule d’Angers… On découvrait alors l’étendue de la psychose dite « ordinaire » dont les manifestations ne répondent plus aux tableaux cliniques de la psychiatrie, du temps des débuts de Lacan.

« Un verrou se levait » comme le dit si bien J.-D. Matet, « qui permettait de parler autrement (…) de ces moments privilégiés où le bien dire nomme un réel aussi près que possible pour en faire valoir des faces inaperçues. Le risque (étant) d’oublier la clinique discontinuiste essentielle pour la transmission d’un enseignement (…), mais surtout pour approcher une clinique où transformation du corps, délire après déclenchement, passage à l’acte, ne pourraient se lire sans cet abord de la clinique Lacanienne. »

À cette condition seulement on pouvait en venir à cette « déclaration d’égalité des consistances » (imaginaire symbolique et réel) selon le terme proposé par J.-A. Miller et dont Éric Laurent dans ce volume, tire les conséquences. Il montre comment cette proposition fait appel à la clinique de Lacan du temps de « Joyce le Sinthome ». Je ne pourrais pas ici rendre justice aux huit cas qui suivent et à la discussion qu’ils permettent. Il le faudrait pourtant, ce sera au lecteur de le faire avec – je n’en doute pas – le même intérêt soutenu qui a été le mien.

Je voudrais cependant évoquer deux passages qui m’ont particulièrement intéressé :

L’un (p. 98-103) concerne le cas présenté par Bernard Lecoeur. La discussion porte sur un dire du patient : « je suis connu » qui, selon la conception que l’analyste s’en fait pour lui-même, aura des conséquences sur la cure. C’est l’occasion pour J.-A. Miller de souligner un point important de ce cas remarquable : la remise en question par Lacan de la théorie du narcissisme (déjà évoquée en 2004 dans la présentation du Séminaire X « L’angoisse ») s’impose ici.

L’autre se situe lors de la discussion du cas d’Hélène Bonnaud : J.-A. Miller réaffirme le fait que l’analyste doit prendre position, en bref qu’il dirige la cure. En opposition à la position de certaines écoles, y compris lacaniennes qui laissent le patient délirer sous prétexte que cela serait thérapeutique, il dit ceci : « Pour l’École Française du Champ freudien on ne laisse pas délirer il faut savoir quelle quantité on laisse. Ce sont deux positions distinctes, il ne faut pas les confondre (…) Cette orientation générale n’exclut pas le cas par cas. On ne laisse pas (le patient) délirer à tout va et on l’arrête en dirigeant les propos dans le sens d’une banalisation. (…) Écouter sans mot dire c’est autoriser et encourager le délire. » (p. 189).

On le vérifiera en lisant la première transcription complète d’un cas présenté par J.-A. Miller qui conclut le volume.

À lire attentivement

Alexandre Stevens

En lisant ce dernier ouvrage des travaux des Sections cliniques on est d’emblée frappé par le ton de conversation qui ouvre chaque cas à sa propre singularité. Loin de diagnostics préconstruits dans un manuel de statistiques ou d’une direction de traitement selon de bonnes pratiques à usage général, ce sont ici les patients qui nous enseignent et la conversation permet alors une élaboration fine au cas par cas.

Ce livre fera évènement par la publication d’une présentation clinique de Jacques-Alain Miller et de sa discussion. Une jeune fille de 18 ans qui explique sa volonté de mourir et développe son délire dans une forme d’expression particulièrement nette au cours de la présentation. Il n’y a pas vraiment de transfert, « l’entretien est [plutôt] le partage de la solitude dans laquelle elle est enfermée » comme le précise J.-A. Miller. (p. 273)

Mais les huit cas présentés et discutés à la Journée UFORCA ne sont pas moins intéressants, puisqu’ils nous permettent de saisir comment s’oriente chacune des cures de ces sujets. 

Ainsi, par exemple, « La supplétive » de Virginie Leblanc a vécu entre silence et insultes, qui résonnent dans son corps entre vidage et débordements. La cure la revitalise en l’écartant de son identification très réelle au corps du père humilié et de l’engloutissement par le corps maternel. Elle s’éprouvait comme déchet et c’est des déchets encombrants qu’elle fera œuvres d’art et lien social en s’appuyant d’une identification symbolique au grand-père. C’est une trajectoire tout à fait singulière.

Autre cas, très différent, « Le Nouveau-nez » de Gil Caroz, signifiant qui capitonne, pour un temps au moins, la masse flottante des significations et la jouissance liée à l’imaginaire d’un abus du père. Le diagnostic s’en modifie au cours de la cure, et s’affine encore lors de la conversation, mais cela n’empêche pas l’analyste de s’y impliquer sans excès de prudence, qui prendrait vite les couleurs d’une inhibition. Et il lui dit des choses vives comme « Je ne vous demande pas en mariage » quand elle craint de s’engager plus avant dans l’analyse. Le cas s’y prête.

Tous ces cas sont ainsi : à lire attentivement.

Clinique ordinaire de l’extraordinaire

Philippe La Sagna

Dans le volume La conversation clinique on trouve la présentation du cas de Sabine par J.-A. Miller et sa discussion. Un entretien clinique est un art de bien dire singulier. La parole n’a pas le statut de la parole analysante qui se situe dans le transfert. Sabine ne témoigne pas d’un transfert : « Ce n’est pas du transfert, l’entretien est le partage de la solitude dans laquelle elle est enfermée » note J.-A. Miller

Ce terme « partage d’une solitude » est très juste. Il ne s’agit pas de faire place à la solitude de cette patiente mais de prendre place au lieu où elle pourrait se partager. Cela suppose pour celui qui l’accueille d’avoir touché la sienne propre. Cela suppose de ne pas saisir ce qui se dit comme une histoire. Il ne s’agit pas de narrativité. Il ne s’agit pas que les gens se racontent. Le passé n’éclaire pas ici non plus le présent, il est déjà le présent.

Pour cela il faut que la patiente ait l’idée « que nous sommes des personnages ordinaires, comme elle-même » souligne J.-A. Miller. Dans ordinaire il y a ordre aussi. Il s’agit d’une mise en ordre de l’expérience vécue, d’une solitude. Sabine pourtant, est une psychose extraordinaire, cliniquement, mais aussi par sa capacité à transmettre son expérience. Elle parvient pour nous à une « trivialisation de l’extraordinaire ». Un énoncé trivial en mathéma-tiques est un énoncé dont la vérité est évidente à la lecture.

Ce qui est important dans un entretien c’est aussi ce dont le clinicien choisit de ne pas parler. Par exemple, dans le cas de Sabine, la sexualité n’est pas évoquée car il s’agit de prendre « le style, la manière du patient ». J.-A. Miller peut dire : « dès le début, elle dit “il y a ceci, il y a cela” c’est déjà énorme ! C’est quelqu’un qui met en ordre qui classe, qui distingue. Je suis monté à bord de ce bateau ».

Ne manquez pas de vous embarquer vous aussi à bord de ces conversations cliniques.

 

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