La nuit des 1000 heures, un rêve d’une inquiétante étrangeté    

La nuit des 1000 heures, un rêve d’une inquiétante étrangeté
par Alexandra Fehlauer

Le 7 février dernier, L’Envers de Paris a eu le plaisir d’accueillir Virgil Widrich, réalisateur viennois, pour une projection de son long-métrage La nuit des 1000 heures (1). Suivie d’une conversation avec Clotilde Leguil, cette rencontre s’inscrivait dans le cadre des évènements du mouvement Zadig à Paris.

Ce film policier, comique et fantastique, est construit autour d’une enquête pour meurtre au sein d’une famille viennoise. Au cours des recherches d’une vérité cachée, plusieurs générations d’ancêtres reviennent à la vie et les secrets de famille les plus enfouis sont exhumés. Ainsi, dans ce face à face entre les vivants et les morts, quelque chose de la pulsion de mort, qui revient toujours à la même place, s’incarne et pousse au retour du même.

A travers cette métaphore, V. Widrich aborde la question épineuse de la transmission traumatique des non-dits en Autriche et des traces laissées par ce silence lourd de sens. Selon ses propres dires, il souhaitait « allonger l’Autriche sur le divan » et il a, pour ce faire, choisi de structurer son récit autour d’une formation de l’inconscient : le rêve. Comme dans un rêve, où tous les personnages incarnent le rêveur à un certain titre, dans ce film l’inconscient se trouve représenté par des ancêtres d’époques différentes, du milieu du XIXe siècle à nos jours. Au fil du temps, les frontières entre rêve, fantasme et réalité se brouillent et font alors émerger chez le spectateur une impression d’inquiétante étrangeté (Das Unheimliche) (2).

Le terme allemand unheimlich renvoie d’ailleurs au Heim, au chez soi, à la maison – qui est, dans ce film, le lieu d’où l’on voyage à travers le temps sans que l’on change jamais d’endroit. Étrange maison, donc, qui devient à son tour un des personnages principaux et le lieu du retour du refoulé qu’il s’agit d’élucider.

Le film se propose donc d’entre-ouvrir le chapitre censuré de l’histoire de tout un pays, afin de retrouver une certaine vérité de l’inconscient, à savoir la vérité concernant une faute de jouissance qui empêche les vivants de laisser les morts reposer en paix.

Dans le texte Fonction et champ de la parole et du langage, Lacan dit : « L’inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c’est le chapitre censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs. »(3)

C’est à ce blanc, au mensonge et à la vérité refoulée que V. Widrich s’intéresse dans ce film, en nous proposant un travail de déchiffrement méticuleux.

L’effort de l’artiste est d’autant plus louable que l’obscurantisme, véhiculé par des discours populistes, se propage à nouveau en Autriche et à travers le reste de l’Europe.

(1) Die Nacht der 1000 Stunden

(2) S. Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Folio essais, Paris, 1988.

 (3)  Lacan, J., « Fonction et champs de la parole et du langage », Ecrits, Éditions du Seuil, Paris, p. 259 : « L’inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c’est le chapitre censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs. A savoir : – dans les monuments : et ceci est mon corps, c’est-à-dire le noyau hystérique de la névrose où le symptôme hystérique montre la structure d’un langage et se déchiffre comme une inscription qui, une fois recueillie, peut sans perte grave être détruite; – dans les documents d’archives aussi : et ce sont les souvenirs de mon enfance, impénétrables aussi bien qu’eux, quand je n’en connais pas la provenance ; – dans l’évolution sémantique : et ceci répond au stock et aux acceptions du vocabulaire qui m’est particulier, comme au style de ma vie et à mon caractère; – dans les traditions aussi, voire dans les légendes qui sous une forme héroïsée véhiculent mon histoire ; – dans les traces, enfin, qu’en conservent, inévitablement les distorsions, nécessitées par le raccord du chapitre adultéré dans les chapitres qui l’encadrent, et dont mon exégèse rétablira le sens. ».