La vérité n’est pas le vrai

Photo de Thomas Kelley

Par Isabelle Magne

 La vérité en psychanalyse est une problématique centrale dans « Constructions dans l’analyse »[1], de même que dans son commentaire détaillé par Jacques-Alain Miller, « Marginalia de Constructions dans l’analyse »[2]. Voilà le point qui m’a particulièrement intéressée dans l’étude de ces deux textes dans le cadre du vecteur « Lectures cliniques » de L’Envers de Paris.

J.-A. Miller démontre ainsi que, dans cet écrit daté de 1937, Freud chemine vers une approche de la vérité bien différente de la recherche de l’exactitude. La construction de l’analyste, qui complèterait des blancs de la mémoire du sujet, est un Wunsch auquel Freud finalement ne croit pas. Il repense la vérité, non pas par rapport à l’exactitude, mais par rapport au mensonge ou au délire ; il en déduit que la vérité en psychanalyse ne vise pas le vrai. Sa garantie ne dépend pas du oui, du consentement de l’analysant. J.-A. Miller a cette formule : « Ce qui est vraiment convaincant, c’est quand vous dites non, et que, quelque part dans votre réponse ça dit oui. Vous dites non, ça dit oui »[3]. En psychanalyse, on se met sur la trace de la vérité avec ce qui échappe, ce qui divise, on l’approche indirectement, J.-A. Miller le souligne : le terme « indirect » est le pivot du texte de Freud. À l’issue de ma première lecture, un énoncé s’est détaché, faisant point de capiton pour moi : « la vérité ne se dit pas sur l’axe imaginaire »[4].

Les trois temps de travail que comporte le dispositif du vecteur « Lectures cliniques » m’ont également permis de faire l’épreuve que la vérité fait son chemin par des détours successifs et par après-coup. En effet, dans le dispositif de ce vecteur, entre la lecture solitaire du texte et sa présentation aux participants, s’intercale un travail en cartel. Celui ou celle qui a choisi de travailler un texte ou un cas clinique vient d’abord en parler avec le cartel d’organisation du vecteur. Ce passage par le cartel produit un effet d’enseignement. Ce deuxième temps de travail sur le texte « Marginalia… » m’a amenée à me questionner sur les constructions faites par l’analyste. Lacan nous enseigne que les constructions, ce sont les analysants qui les font. Quelle valeur prennent alors les constructions du praticien ? Si celles-ci ont un effet de vérité, ne s’agit-il pas d’orientation et d’interprétation plutôt que d’exactitude ? Enfin, le troisième temps de travail, celui de la présentation aux collègues du Vecteur avec discussion, a ouvert pour moi la question de ce que l’on entend aujourd’hui par « s’orienter du réel ».

Au cours de ce travail de lecture, mon questionnement s’est donc déplacé de la question de la vérité vers celle du réel.

[1]. Cf. Freud S., « Constructions dans l’analyse », Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1987, p. 269.

[2]. Cf. Miller J.-A., « Marginalia de Constructions dans l’analyse », texte prononcé lors d’un atelier milanais de l’École européenne de psychanalyse les 26 et 27 février 1994, transcrit pas Jocelyne Gault, publié in Cahiers de l’ACF-VLB, n° 3, Rennes, octobre 1994, p. 4-30.

[3]Ibid.

[4]. Ibid.