l’inconscient pulsionnel

Vecteur Psynéma

Le Vecteur Psynéma a organisé le 18 octobre 2017 une soirée [1] autour du film Night Call sorti en 2014, du réalisateur Dan Gilroy. La projection intégrale du film au cinéma l’Escurial à Paris a été suivie d’un débat pointu et de qualité. Pierre Sidon, notre invité, a su prolonger avec la pertinence qui est la sienne, les différentes thèses soutenues par les intervenantes : Carole Herrmann a montré de façon très précise en quoi le héros, rejeté au départ comme déchet, s’inscrit dans “le tableau du monde” comme regard en usant d’un certain jeu de discours – Laure De Bortoli a pointé finement en quoi la ville de Los Angeles est une toile de fond singulière dans le film, lieu où, en quelque sorte, le sujet se perd comme objet, regard ou autre – Maria-Luisa Alkorta a montré en quoi Night Call dévoile d’une certaine manière la puissance aveuglante et mortifiante du chiffre aujourd’hui [2] et son lien à la disparition de la honte. Elisabetta Milan a, quant à elle, animé et orienté le débat de façon originale.

Pierre Sidon a in fine articulé fermement en quoi, selon lui, la thématique du corps morcelé est prégnante dés les premières séquences de Night Call : le héros donnant, après un parcours plus ou moins chaotique et bien peu catholique, « âme » à son corps afin que celui-ci puisse tenir sur la scène du monde.

D’autre part, en guise à la fois d’introduction et de cadre à la soirée, j’ai noué tant bien que mal le film en question à un texte, me semble-t-il très important aujourd’hui, de Walter Benjamin : L’oeuvre d’art à l’heure de sa reproduction mécanisée [3] – texte portant pour une très large part sur “la dialectique” orageuse liant « la masse », la presse, la fonction de l’écran – aujourd’hui démultipliée – et ses effets sur ce que Benjamin nomme « l’inconscient pulsionnel », en référence aux textes de Freud. Puis, suivant ce fil benjaminien, j’ai évoqué quelques autres films comme ceux de Billy Wilder (notamment Le gouffre aux chimères (1952), petit bijoux cinématographique ) ou encore ceux de Fritz Lang (M. Le Maudit – 1932, Furie – 1936). Enfin, quant à l’errance du sujet comme objet de rebut dans l’immensité d’une ville comme celle de Los Angeles, des films à mes yeux importants comme Taxi Driver de Scorsese (1976) ou Macadam Cowboy de Schlesinger (1989) montrent-ils comment un sujet arrive à construire, parfois à ses dépens, sa propre place dans le monde ou plus précisément dans ce que Lacan nomme poétiquement, quant à la métonymie comme déplacement de jouissance, « cette cohue de personnes déplacées » : « Car à la façon dont vont les choses, on ne le sait que trop, quand le langage s’en mêle, les pulsions doivent plutôt foisonner, et la question (si il y avait quelqu’un pour la poser) serait plutôt de savoir comment le sujet y trouvera une place quelconque. La réponse heureusement vient d’abord, dans le trou qu’il s’y fait ». [4]

C’est bien autour de ce trou, ici évoqué dans un texte daté de 1960, que le débat pour l’essentiel s’est enroulé.

Quant à l’interprétation de l’acteur Jake Gyllenhaal, incarnant avec brio Lou Bloom dans Night Call, difficile de ne pas penser à celle d’Anthony Perkins dans le célèbre Psycho d’Alfred Hitchcock (1960); on se souvient en effet de la façon sensationnelle dont le réalisateur de The Birds montre « le pousse à la femme » du héros Norman Bates, empailleur d’oiseaux à l’occasion… La manière dont A.H use par ailleurs du cadre de la fenêtre tout au long de son film est tout de même à relever.

Psynéma poursuivra ces travaux autour de la représentation des Aliens dans l’histoire du cinéma. Cette thématique s’inscrira d’une certaine façon dans celle de la Journée de l’Envers de Paris prévue le 10 juin 2017, intitulée « Les nouveaux visages de la ségrégation ». Les séminaires de Lacan : L’angoisse et Encore serviront, entre autres textes fondamentaux de la psychanalyse, de boussoles quant à ce noeud de la féminité et des déclinaisons de l’Alien dans le cinéma. Les termes lacaniens de la jouissance de l’Autre et de l’objet a seront ainsi travaillés à partir d’une filmographie (à construire) qui permettra d’encadrer nos débats et réflexions : par ex. – Invasion of the Body Snatchers de Siegel (1955), où le corps comme étranger au sujet est mis au premier plan de façon saisissante ; dans la série Invasion, nous avons par exemple les deux films intitulés La guerre des mondes, celui de B. Haskin sorti en 1953, et l’autre de Spielberg de 2005, lequel est fondamental quant au statut topologique de l’Alien comme « ennemi intérieur » ; de ce dernier cinéaste, dans cet intervalle de près d’un demi-siècle, il y a le fabuleux Rencontre du troisième type (1978) nous transportant sur un nouveau mont Sinaï biblique, et puis bien sûr l’émouvant E.T (1982) se passant d’ailleurs à Los Angeles ; dans cette veine, difficile d’oublier Abyss de Cameron (1989) et ses lumineux Aliens ; et puis plus récemment est sorti le très émouvant Monsters de G. Edwards sorti en 2010, relatant une histoire d’amour dans un lieu étrange, peuplé d’Aliens démesurés, et faisant frontière entre le Mexique et les U.S.A ; Under The Skin de J. Glazer (2013), dont nous avons déjà parlé, trouve un écho saisissant dans le film Birth (2004) du même réalisateur ; les actrices choisies par Glazer : Nicole Kidman et Scarlett Johansson, sont surprenantes… La figure de l’Alien est ainsi singulièrement mise en contiguïté métonymique avec « le continent noir de la féminité. »

L’Alien de R. Scott (1979) reste à cet égard (qu’on se souvienne de Sigourney Weaver affrontée à la chose la plus impossible qui soit) un point tournant dans l’histoire du cinéma, montrant un basculement quant à cette problématique de l’Alien, du corps comme objet a ou rebut, et de la jouissance féminine, dont Lacan a montré, rappelons-le, l’infinitude [5] qu’elle implique. La passion de la haine s’articule aussi bien à ce niveau topologique.

Quelques soirées sont prévues en 2017 afin de rendre compte de nos travaux.
Karim Bordeau

Pour ceux qui veulent participer au travaux de Psynéma contacter : Karim Bordeau (karimbordeau@orange.fr) ou Elisabetta Milan (elisabetta.milan@yahoo.fr)

[1]Préparée par Elisabetta Milan, Vanesa Bartholomai, Fonseca Zas Vanita , Carole Herrmann, Maria-Luisa Alkorta, Camille Beuvelet, Laure De Bortoli, Karim Bordeau.
[2]Ces interventions seront peut être l’objet de textes à venir.
[3]Texte daté de 1935, dont il y a eu plusieurs versions, et qui été signalé expressément par Gérard Wajcman dans ses cours à Paris 8. On trouvera par exemple la version de 1939 dans : Benjamin W, Oeuvre III, Editions Gallimard, 2000, pp.269-316.
[4]Lacan J, Ecrits, Editions du Seuil, 1966, Paris, p.662.
[5]Cf. Lacan J, Le Séminaire, Livre XX, Encore, Editions du Seuil, Paris, 1975, p.94.

 

Prochaine rencontre
le 19 novembre 2016
à 16h

au 17 rue Baudoin