Quoi de neuf ? (WhatsApp ?)

Par Flavia Hofstetter

« Madame, je peux continuer avec vous par Skype quand je partirai à Londres ? » Non, fut ma réponse. C’était il y a un an. L’analyse ? Il faut que les corps y soient, cela me semblait une évidence. Le confinement a tout bouleversé, et a modifié ma pratique sans que j’aie le temps d’y réfléchir. Tout est allé vite. J’ai poursuivi mon analyse par WhatsApp. Au CMP et au cabinet j’ai continué avec des séances téléphoniques, avec ou sans image.

Un mois plus tard, cela ne fait pour moi plus de doute que l’analyse peut opérer, même si les corps sont loin. Il reste la voix, qui vient du corps, comme preuve de la présence – lointaine – de ce corps. Il reste aussi l’image, comme autre preuve de la présence du corps. Image qui me frustre, comme un impossible, un succédané pauvre, atténué, aplati, vis-à-vis de l’incommensurable du corps réel. Une castration qui me coûte.

Une vignette m’a pourtant surprise et enseignée.

Il s’agit d’un patient de cinquante ans réticent pour la consultation « à distance ». Réticent, il l’a toujours été. Peu de mots. Il est venu consulter pour sa « violence », mais ne m’en a jamais trop dit. Condamné dans sa jeunesse pour un délit grave, il ne me dira pas pourquoi : « Je veux quand même vous ménager. » Je n’insiste pas. Là où il travaille actuellement il y a beaucoup de femmes, cela le gêne, il ne veut pas leur faire la bise, car il rougit. Je l’encourage à ne pas la faire. « Mais ça fait un peu bizarre non ? » ; « Et alors ? » lui dis-je à chaque fois. Les séances avec moi ne se font pas non plus sans le troubler. Parler à une femme est pour lui compliqué. Les séances sont courtes, je le regarde peu.

Notre première séance téléphonique est surprenante. Il nomme ce qu’il n’avait jamais dit en face à face. Jusqu’à présent sa responsabilité subjective avait rarement été au rendez-vous. C’est la faute de l’Autre. Lorsque l’année dernière – il venait déjà me parler depuis quelques mois – sa femme a porté plainte pour violence conjugale, des moments cliniquement inquiétants ont suivi. Depuis ce jour, c’est toujours la faute de sa femme et de la « soi-disant » justice française à laquelle il ne croit pas.

Aujourd’hui il va mieux, ils se disputent moins. Sa culpabilité s’adresse uniquement à Dieu, qui l’a remis dans le droit chemin quand il était jeune.

Lors de cet entretien par téléphone il me dit : « Aujourd’hui ça fait un an qu’il y a eu ça, vous savez pour la police. […] Les conséquences du point de vue judiciaire ont selon moi été trop lourdes, mais ce qui s’est passé m’a quand même fait prendre conscience de quelque chose. Voilà. Il fallait que je vous le dise. »

Une fois les corps éloignés et son trouble face à une femme amoindrie, cela a-t-il permis que ça puisse se dire ?

Oui, en effet, par téléphone, « ce n’est pas pareil », le corps à corps disparaît, mais à l’occasion cela m’a permis de cerner cette dimension du corps comme présence pulsionnelle qui met une limite au dire d’un sujet. Pour cet homme les femmes sont désirables mais dangereuses ; il évoque sa difficulté avec le malentendu dans la parole, auquel il ne veut / peut pas croire non plus, d’où une perplexité qui se réitère et le rend violent.

Si je pense plus largement aux patients que j’écoute depuis quelques semaines, aux collègues avec qui nous partageons ces expériences, je constate comment en fonction du fantasme, cette parole au téléphone est libérée ou inhibée. Pour une analysante, l’absence du corps est corrélée à la mort, ces séances sont difficiles à supporter. Pour une autre, l’analyse se porte mieux, « l’Autre moqueur » est réduit. Enfin pour la troisième, son analyste « ne la frappera » pas à distance, elle peut enfin tout lui dire !

Par ailleurs la situation du sujet confiné, séparé des corps, ne permet-elle pas de faire émerger de manière épurée ces aspects fantasmatiques présents sous transfert ?

J’ai travaillé l’année dernière sur un ouvrage parlant d’exil[1]. Paradoxalement il y a entre celui qui s’exile et celui qui se confine cette chose commune : les deux se cognent contre leur fantasme. L’exilé, malgré l’arrivée dans un nouveau monde, ne pourra éviter la rencontre avec l’Autre auquel il a affaire dans sa recherche d’une place symbolique. Le confiné, aussi éloigné soit-il de l’étranger, rencontre de lui-même ce point d’extime qu’il avait peut-être pendant longtemps oublié. Dans ces circonstances inouïes, pouvoir entendre cette parole me semble cliniquement précieux, que je me situe côté analyste, ou côté analysante.

[1] Guaraguara S. (s/dir.), Exils, regards psychanalytiques, Genève, Agepsy et Encuentro-Rencontre, 2019.