Atome, Atome, quel joli mot !

Atome, Atome, quel joli mot !
Par María Luisa Alkorta

De l’influence des Rayons Gamma sur le comportement des marguerites, film du réalisateur Paul Newman, inaugurait le nouveau cycle 2019-2020 du vecteur Psynéma. Choisi pour l’occasion, ce film parle surtout des femmes et fait écho aux Journées de l’ECF « Femmes en psychanalyse ». Par ailleurs, ce beau film s’intégre aussi dans le thème « Démocratie » proposé pour ce cycle par le Patronnage laïque Jules Vallès avec lequel nous travaillons en partenariat depuis bientôt quatre ans. Marcel Gauchet, dans son livre La Démocratie contre elle-même, dit que la politique est le lieu d’une fracture de la vérité, dans le sens où la démocratie se divise en opinions contraires, ce qui a comme conséquence que la vérité n’est jamais Une. Depuis la nuit des temps, les hommes s’organisent en groupes pour vivre ensemble en société. Dans cette perspective, le contrat social en est un des supports avec les lois qui règlent les sociétés démocratiques. C’est ce qui fait le lien social.

Dans ce film nous voyons une société américaine dans l’après-guerre de Corée, ayant des répercussions sur le lien social pour le moins malmené. La ville ouvrière de Bridgeport (Connecticut) nous est présentée avec un aspect sombre, désordonné et aussi abandonnée comme l’est Béatrice, héroïne du film, veuve, qui y habite avec ses deux filles adolescentes Ruth et Matilda. Le rêve américain faisant défaut, dans la même période nous voyons plusieurs films américains qui montrent des portraits de femmes démunies, en crise, autour de la quarantaine. Ces sont des femmes en grande difficulté d’intégration sociale souvent subissant leur situation, femmes au foyer. Mais ce n’est pas le seul aspect qui caractérise Béatrice comme nous le verrons dans le déroulement du film.

Pour la préparation de ce film nous nous sommes appuyés sur le Séminaire XVII où le lien social peut être défini à partir du concept de discours tel que Lacan l’a élaboré. A savoir que le fait social est considéré en psychanalyse comme étant un fait de langage, c’est-à-dire, celui qui se crée dans les rapport de l’homme à la parole.

De quoi parle ce film ?

Le corps est en lui-même un sujet central dans ce film de P. Newman. Le regard qu’il pose avec la caméra nous présente un éventail de femmes, chacune avec sa particularité, qui la conduit vers son destin. Mais je dirais que le corps en tant que matière vivante, que ce soit du point de vue scientifique, que ce soit du point de vue psychanalytique est aussi traité par le cinéaste. Nous limitant aux trois personnages, la mère et ses deux filles, nous décrirons quelques éléments du film qui nous permettent de situer le corps dans ses différents registres : réel, symbolique, imaginaire.

Dés le début du film, le discours de la science est présent avec Matilda et son expérience des rayons gamma. Elle met des graines de marguerites dans un bac fermé. La lumière énergétique liée à l’excitation de l’atome, comme la plus petite partie du corps simple, peut se combiner chimiquement avec une autre partie produisant ainsi des mutations différentes selon le degré de radiation. Pour donner une finalité aux atomes différente que celle de la bombe atomique, rappelons-nous le discours que Eisenhower prononça en 1953 et qui fut intitulé « Atomes pour la Paix ». C’est dans ce cadre que s’inscrit l’expérience scientifique de Matilda. Puis on aperçoit Béatrice devant le miroir du magasin essayant des perruques, regard perdu, comme si elle ne se reconnaissait pas. Coté langage, elle prend des libertés inouïes avec des paroles crues, amères, pour parler à ses filles de ses conquêtes ratées et de sa vie sexuelle.

Néanmoins, à sa manière dispersée, désorganisée, compliquée, tant pour elle que pour ses filles, Béatrice montre aussi un certain désir et un attachement à leur égard. C’est avec le professeur Goodman qui encourage les expériences de Matilda qu’elle règle ses comptes, lui reprochant les perturbations de la vie familiale du fait de ses expériences et, qui plus est, des risques de stérilité encourus par Matilda. Sa mort, Béatrice la voit incarnée par sa voisine ; elle croit la voir morte de sa fenêtre, car elle croit qu’elle ne bouge pas depuis trois jours. Mais c’est surtout pour Ruth qu’elle s’inquiète. Ruth a un esprit malade, elle est atteinte d’épilepsie et elle est toujours angoissée à l’idée de la mort, qui plus est, s’impose par le spectacle des vieillards mourants lors de leur hébergement à la maison. Elle a déjà vu deux  hommes mourir à la maison et la venue de Anny, une vielle femme au regard pénétrant que sa fille abandonne chez Béatrice, accentue ses moments de cauchemars et de crise. Les corps des morts pendant la guerre de Corée sont aussi présents dans les récits de Béatrice comme son premier amour et son « con de mari » qui part mourir à l’hôtel.

Le corps en psychanalyse

En psychanalyse, le corps parlant vient faire contrepoids au corps de l’individu, corps pris en tant que propriété de chacun, séparé de tous les autres selon Aristote. Ainsi, à mon avis, quelques éléments  du film nous permettent de parler du corps de plusieurs façons, en tant que : Corps imaginaire pour Béatrice se regardant devant le miroir et dont l’image peut donner l’idée d’unité. De même pour Ruth s’identifiant imaginairement à sa mère quand elle essaye sa perruque, riant avec elle, mais aussi s’identifiant à elle et l’imitant dans son cours de théâtre, ce qui cessera vers la fin du film où Ruth, se séparant de sa mère, essaie de se retrouver ailleurs, intéressée par la performance de Matilda et en compagnie de Cris, son copain. Matilda est représentée devant son bac bordé par la jouissance phallique hors corps, conceptualisée par Lacan. Le  cours de M. Goodman sur la permanence des atomes a bouleversé Matilda. Elle regarde ses mains comme pour étudier le fait qu’un atome puisse se matérialiser dans son corps et relever de ces espaces infinis de la galaxie reliée au corps de chacun. Lacan parle de moterialité, néologisme composé du « mot » et de la « matérialité » pour signifier qu’on trouve de la matérialité dans le mot. Matilda a cet énoncé : atome quel joli mot, c’est poétique. On peut dire que atome est le signifiant dans sa matérialité qui résonne dans son corps, et avec un deuxième signifiant poétique quelque chose se produit d’un savoir en tant que création poétique. Pour Matilda on peut parler là d’un corps en tant que symbolique pas sans l’imaginaire. Ainsi, chez elle, on trouve une topologie de son monde construit autour d’un idéal à partir de quelques signifiants-maîtres qui lui sont familiers : par exemple charbon qui peut subir une  mutation pour devenir diamant.

Traitement du rire

Le rire est aussi un élément constituant du monde de ces trois femmes. Pour Béatrice le rire a été une arme de conquête, c’est par le rire qu’elle a attiré son mari : on dansait un mambo et je l’ai fait rire, dit-elle à ses filles. Mais maintenant elle ne supporte pas le rire des autres, même si cela ne s’adresse pas directement à elle. Ruth au début rit volontiers avec sa mère surtout de ses blagues vulgaires visant le professeur Goodman. Ce ne sera plus le cas vers la fin du film où Ruth reste sérieuse face aux blagues de sa mère. Matilda se met à distance de la position maternelle, lorsqu’à l’inverse de sa mère, elle ne pense pas qu’on rit d’elle, mais rétorque que c’était une expérience. Une seconde fois elle sort de la pièce ne trouvant pas drôle le fait qu’on se moque de son professeur Goodman. « Non maman je ne déteste pas le monde » dit Matilda à la fin du film où, contrairement à Béatrice, elle énonce qu’elle aime le monde, ses études, cette substance « atome » qui fait jouir et tenir son corps.