Bolsonaro : mythe et politique de la haine**

Par Patrick Almeida*

Le Brésil a élu Jair Messias Bolsonaro comme nouveau président. Député ultranationaliste et d’extrême-droite de l’Etat de Rio de Janeiro, ouvertement nostalgique de la dictature, il a gagné ces élections avec le slogan : « Le Brésil avant tout, Dieu au-dessus de tous ». Bolsonaro surfe sur la vague historique d’un certain populisme latino-américain. Comme son nom l’indique, il est le « Messie », voire le « Mythe », acclamé par son électorat qui le promeut presque comme un authentique prophète de Dieu, dans un mouvement que nous pourrions nommer de bolsonarisme messianique. Par ailleurs, il doit son deuxième prénom, Messias, au miracle divin qui, selon sa mère, aurait permis sa naissance suite à une grossesse difficile.

Sombre nostalgie

D’origine italo-allemande, son arrière-grand-père fut un soldat allemand de la Wehrmacht d’Adolf Hitler. De surcroît, il n’hésite pas à exalter la dictature militaire que le Brésil a connu et ses « héros de 1964 » qui auraient « combattu contre le communisme »(1). Il est aussi connu pour ses prises de positions populistes, par ses critiques contre la gauche et pour considérer la torture comme une pratique tout à fait légitime(2) à laquelle il est « favorable » (il a rendu hommage à l’un des tortionnaires de la dictature(3), le Colonel Ustra qu’il a qualifié de « héros national »(4)), non sans avoir une position totalement opposée(5) aux droits LGBT(6) – dans un pays, précisons-le, où l’on tue le plus d’homosexuels et de transgenres au monde avec un mort comptabilisé toutes les dix-neuf heures(7).

Défenseur décomplexé des dictatures dans le monde, Bolsonaro salue autant Pinochet(8) au Chili – regrettant qu’il « n’ait pas tué plus de monde » – que Fujimori au Pérou pris comme modèle pour son intervention militaire contre les pouvoirs judiciaire et législatif(9). Voici quelques années, il disait déjà que la démocratie était « de la connerie » et que, si un jour il devenait président de la République, « certainement il fermerait le Congrès National »(10) ; son Wunsch exprime ainsi sa volonté de revenir quarante ou cinquante ans en arrière pour reconquérir « les années glorieuses du Brésil »(11).

Ding dingue

Aujourd’hui il touche avec son humour noir la plupart des brésiliens ; c’est un clown à la Donald Trump, au style scatologique, dégoûtant, mais qui réussit à apprivoiser une grande partie de la population. Il parle au peuple, avec un langage populiste, tel que, toutes proportions gardées, savait le faire Getulio Vargas, le « père du peuple », ou Fernando Collor de Mello, le « chasseur de Marajas », voire même Lula, le « père des pauvres ».

Incarnant un discours aux allures néonazies et néofascistes, Bolsonaro fait rupture dans la longue série des populismes d’Amérique Latine. En effet, son discours fait effraction dans le réel – il est hors-discours et hors-débat. Il est l’assomption et l’avènement d’un mode de jouir, non-refoulé et à ciel ouvert, de Thanatos : « il dit ce que l’on pense tous et que l’on n’ose pas dire, […] il parle et pense comme nous ». C’est l’innommable dont on n’osera pas prononcer le nom sur les réseaux sociaux. Il est la Chose.

La Chose n’hésite pas à traiter d’« idiots » et de « salauds » les dirigeants d’Amnesty International et se moque de l’idée que le Brésil soit un pays laïque (et ce malgré la Constitution de 1891 qui établit formellement la séparation entre État et religion) : « C’est Dieu avant tout. Il n’y a pas cette histoire d’État laïque. Cela n’existe pas. L’État brésilien est chrétien »(12).

En somme, si Bolsonaro est un populiste, il n’appartient cependant pas à la catégorie du populisme traditionnel issu des transitions de la société agraire vers la société urbaine industrielle au début du XXème siècle, mais il est bien plutôt un néo-populiste médiatique dont la force se base sur des Fake News (développées par la Cambridge Analytica pour le compte de leurs clients, pour influencer notamment les élections) dans ce monde des réseaux sociaux en mode post-vérité.

De l’incorruptible…

Son discours vient toujours se mettre en opposition aux autres groupes dominants, notamment celui de Lula, le Parti des Travailleurs. Il a organisé une campagne de diffamation massive contre son adversaire(13), Fernando Haddad, et se sert également de tout un tas de théories de la conspiration (à l’instar des soi-disant fraudes aux urnes électroniques lors du premier tour de la présidentielle(14). Il n’hésite pas non plus à proclamer être détenteur de la vertu et de l’intégrité qui, selon lui, doivent constituer le fondement de la société. Et il s’auto-proclame ainsi le politicien incorruptible.

À partir de ce nationalisme-populiste, Bolsonaro tente d’unir le peuple brésilien sous l’égide fondateur de l’Un de l’appartenance nationale. L’émergence de son discours populiste vient combler une certaine crise de représentation politique qui fait appel à la création d’une fiction de solidarité face à un système politique, selon lui, en déclin. D’où le risque de tomber dans une nouvelle forme de dictature militaire, ou du moins, dans un totalitarisme, voire un autoritarisme qui écraserait et invaliderait cette démocratie brésilienne si fragile.

Nous avons vu le phénomène du bolsonarisme messianique gagné en puissance dans un pays déboussolé, hésitant entre un principe identitaire imagé (« Bolsonaro, au nom du peuple, des hommes de bien, et de la patrie brésilienne »), un vœu de conservatisme et de retour en arrière vers les traditions paternalistes et patriarcales, mais aussi et surtout, une volonté de jouissance collective et une compulsion de répétition du discours de haine acéphale qui se trouve légitimé à chaque fois que Bolsonaro prend la parole en s’assumant comme misogyne, homophobe, tout en incitant les citoyens à prendre les armes.

… aux vices aux commandes

Un cap a été franchi. Au lieu de la devise nationale « Ordre et progrès », de la République brésilienne – d’origine positiviste, elle a été formulée par Auguste Comte dont l’amour était le principe (« L’amour pour principe et l’ordre pour base ; le progrès pour but ») –, avec l’élection de ce candidat à la République, ce sont les principes de la haine et de la ségrégation qui désormais opèrent.

C’est un fait de discours et on le constate : dans une vague d’idéaux fades, sans substance et opaques, rejetant les contraintes de la crise mondiale tout en menaçant de ne pas se plier aux mécanismes du jeu démocratique, Bolsonaro est sur le point d’inaugurer une variante 2.0 de ce que Jacques-Alain Miller, au début du XXIème siècle, avait annoncé comme la montée au zénith social de l’objet petit a.

Jair Messias Bolsonaro est devenu le nouveau président de ce pays aux proportions continentales en entretenant son statut d’objet-déchet – clown scatologique. C’est l’asymptote du père au pire, et retour.

À l’opposé de cette politique du pire, il reste à l’analyste, dans le programme de son acte – et y compris dans la Cité –, de maintenir vivante la croyance des sujets à leur symptôme et les renvoyer à la particularité de leur jouissance. Il s’agira de trouver un moyen contemporain de faire supporter l’inconsistance de l’Autre, l’absence de garantie, sans forcément céder à l’impératif de jouissance surmoïque légitimé par l’ascension de ce Pire. Cela implique pour les psychanalystes qu’ils y mettent de leur corps « pour porter une nouvelle interprétation à la puissance du symptôme »(15). En passant du père à la croyance au symptôme, là se loge l’éthique de la psychanalyse, dans une « société du symptôme » (16).

 

 

 

*Patrick Almeida est membre de l’Envers de Paris.

**Traduction française de l’article à paraître en espagnol sur le site La libertad de pluma – nudo Política Extimidad -Red Zadig Argentina : http://lalibertaddepluma.org/

(1) https://www.huffpostbrasil.com/2014/11/13/bisneto-de-soldado-de-hitler-jair-bolsonaro-compara-dilma-rouss_a_21674614/

(2) Cf. par exemple : http://www.ebc.com.br/noticias/politica/2013/02/jair-bolsonaro-defende-golpe-militar-de-1964-em-recepcao-a-yoani-sanchez

(3) https://www.oab.org.br/noticia/14836/juiz-condena-coronel-ustra-por-sequestro-e-tortura

[4] https://extra.globo.com/noticias/brasil/coronel-ustra-homenageado-por-bolsonaro-como-pavor-de-dilma-rousseff-era-um-dos-mais-temidos-da-ditadura-19112449.html

[5] http://noticias.terra.com.br/brasil/bolsonaro-quotprefiro-filho-morto-em-acidente-a-um-homossexualquot,cf89cc00a90ea310VgnCLD200000bbcceb0aRCRD.html

[6] http://revistaepoca.globo.com/Revista/Epoca/0,,EMI245890-15223,00.html

[7] http://noticias.terra.com.br/brasil/bolsonaro-quotprefiro-filho-morto-em-acidente-a-um-homossexualquot,cf89cc00a90ea310VgnCLD200000bbcceb0aRCRD.html

[8] https://congressoemfoco.uol.com.br/especial/noticias/as-frases-polemicas-de-jair-bolsonaro/

[9] https://www.nytimes.com/1993/07/25/weekinreview/conversations-jair-bolsonaro-soldier-turned-politician-wants-give-brazil-back.html

[10] https://www1.folha.uol.com.br/poder/2016/06/1779759-pre-candidato-bolsonaro-tenta-criar-a-extrema-direita-light.shtml

[11] https://noticias.r7.com/brasil/bolsonaro-chama-ditadura-militar-brasileira-de-intervencao-democratica-31032015

[12] http://www.jornaldaparaiba.com.br/politica/bolsonaro-defende-porte-de-arma-para-todos-e-fuzil-contra-o-mst.html

[13] https://www1.folha.uol.com.br/poder/2018/10/documento-confirma-oferta-ilegal-de-mensagens-por-whatsapp-na-eleicao.shtml

[14] https://brasil.elpais.com/brasil/2018/10/11/politica/1539286462_109761.html

[15] Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, n°15, 02/2005, p. 27.

[16] Laurent E., « La société du symptôme », Quarto, n°79, 06/2003, p. 11.