Dans l’après-coup de la C-5 “psychanalyse et pédopsychiatrie”
La psychiatrie aujourd’hui et demain. Quelle place pour la psychanalyse ? 5e conversation organisée par L’Envers de Paris et l’ACF-IdF : « La pédopsychiatrie : questions et variété des réponses », avec Ligia Gorini*, psychiatre, chef de pôle à l’EPS de Ville-Évrard ; Angèle Terrier*, psychologue dans le secteur infanto-juvénile du Nord des Hauts-de-Seine ; Janis Gailis°, psychiatre, médecin directeur au CMPP de Montreuil.
Une place, du côté de la vie
par Aurélie Pascal
Mercredi 25 septembre a eu lieu la cinquième et dernière conversation du cycle « La psychiatrie, aujourd’hui et demain. Quelle place pour la psychanalyse ? » organisée par l’ACF IdF et l’Envers de Paris, avec cette fois-ci, comme thème, « psychanalyse et pédopsychiatrie : questions et variétés de réponse ». La soirée fut riche, vivante, comme la question de la place de la psychanalyse qui apparaît se dégager de l’inertie actuelle, idée que nous pourrions proposer comme une des réponses possibles, en conclusion de ce cycle. Cette inertie, bien présente de nos jours, est largement due au S1 émanant des évaluations en psychiatrie notamment. Ligia Gorini dans son exposé nous parle d’une « certaine plasticité difficilement réductible » à un chiffre pour un sujet, et qui doit appeler à une « souplesse de la part du clinicien »(1). La clinique s’oppose aux tests qui tendent à figer, allant contre ce côté plastique de la pensée. L’acte analytique vise une ouverture de l’inconscient, à l’inverse de l’évaluation avec thérapie courte qui constitue une fermeture de la question et un refus de la contingence. François Ansermet développe l’idée que si nous sommes programmés neurologiquement, nous nous y inscrivons dans une discontinuité permanente : « On est déterminé pour ne pas l’être. On est déterminé pour recevoir l’incidence de la contingence, pour être soumis au stochastique. On est déterminé aussi pour qu’il y ait un espace pour l’acte du sujet. On n’est pas dans un modèle action/réaction. »(2) Autrement dit, le propre du parlêtre c’est cette inadéquation à la nature, cette mise en échec de l’instinct, cette résistance aux formules du biologique qui ne se trouvent pas supprimées, mais en quelque sorte court-circuitées par la morsure du signifiant sur le corps. La psychanalyse prend ainsi une voie que l’on pourrait qualifier de « résistance » pour reprendre les mots de Francesca Biagi-Chai lors de sa précédente intervention dans le même cycle de conversations. Résister contre la pente actuelle qui est celle de la demande de résultats entrant dans la logique « action/réaction », du « faire-mieux », pente qui peut devenir, aussi, injonction.
En effet, nous avons affaire actuellement à un véritable culte de la performance avec, par exemple, le remplacement des classifications nosographiques par les diagnostics statistiques. C’est un paradigme nouveau auquel nous sommes confrontés, comme le souligne Yasmine Grasser dans la discussion, à savoir viser « l’optimal de la performance » : « bilanter » pour chiffrer, chiffrer pour « protocoliser ». « La logique de handicap remplace la logique des soins », quand bien même nous pouvons aussi entendre que « le handicap recouvre quelque chose en plus »(3) puisque l’enfant pourra alors avoir droit à la présence d’une Assistance de Vie Scolaire, à un tiers temps pour les examens, etc., décalant ainsi le terme « handicap » de son aspect déficitaire. La clinique analytique permet la subversion d’une étiquette posée épinglant un déficit, car elle remet le sujet au centre. Plutôt que des protocoles pour tous, la psychanalyse peut proposer des soins sur mesure : « isoler ce qui revient toujours à la même place pour un sujet »(4), et qui ne vaut que pour lui, repérer par la logique le point de réel en jeu, ce que l’on peut apprendre de la singularité de sa jouissance… Et ceci, en tant que seul le sujet peut nous l’enseigner et non l’inverse. La pratique analytique parie sur le fait que le symptôme se constitue de sa capture dans le discours de l’analyste, c’est-à-dire qu’il y a un embrayage du symptôme sur le Sujet Supposé Savoir. C’est donc une Clinique Sous Transfert et non sur rail. La psychanalyse propose une orientation, pas un parcours fléché qui pourrait être emprunté anonymement et sans rapport à la contingence. C’est ce que nous rappelle Angèle Terrier, l’importance de « recueillir la parole de l’enfant avec un désir qui ne soit pas anonyme », cet accueil, cette rencontre n’étant que contingente, laissant la place à la dimension du réel. La place du clinicien est essentielle en tant qu’elle offre, pour certaines familles, une possibilité de faire état du « point d’impasse dans laquelle elle se trouve face à l’institution scolaire ». Point d’impasse auquel l’analyste fait signe, adresse un « accusé de réception » pour ne pas le laisser résonner dans le vide de l’Autre et ainsi éviter à l’enfant de se « débrancher » radicalement de son parcours scolaire.
Janis Gailis parle en ce sens de « mobiliser la responsabilité subjective d’un enfant », pour faire en sorte que « son désir d’apprendre s’ouvre », les enfants arrivant parfois avec un désir largement écrasé par une pose de diagnostic réalisé au préalable par l’école. Face au côté massif de l’évaluation, à l’inertie du S1, le clinicien peut « réintroduire un peu de libido »(5), pour qu’une certaine curiosité envers la connaissance puisse émerger chez l’enfant. En cela, « l’acte psychanalytique se présente comme incitation au savoir »(6), incitation ou invitation pouvant être réinventée à chaque instant. Ces exposés nous transmettent ainsi comment la place de la psychanalyse ne peut se penser en dehors d’une clinique qui tient de l’invention, d’un pari sur la vie de l’inconscient, pari à renouveler, encore.
(1) Ligia Gorini, dans son intervention lors de cette 5e conversation.
(2) François Ansermet, « Continuité et discontinuité, entre neurosciences et psychanalyse », disponible sur YouTube 24 mars 2018 cliquez>
(3) Janis Gailis, dans son intervention lors de cette 5e conversation.
(4) Angèle Terrier, dans son intervention lors de cette 5e conversation.
(5) Francesca Biagi-Chai, dans la discussion suivant les exposés des intervenants.
(6) Lacan J., Le séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 345.
* Psychanalyste, membre de l’ECF.
° Membre de l’Envers de Paris.