De la répétition à la réduction : l’écriture d’un chemin particulier

De la répétition à la réduction : l’écriture d’un chemin particulier

Par Martine Bottin-Daneluzzi

Dans l’écriture même de L’Os d’une cure [1] par Jacques-Alain Miller, j’ai été saisie par la répétition, la reproduction de mouvements qui opèrent dans une cure, de façon singulière pour chacun qui s’y engage.

Le titre, L’Os d’une cure (et non l’os de la cure) indique d’emblée que La cure analytique n’existe pas, à l’opposé de tout modèle standardisé, protocole ou programme valable pour tous.

À partir du poème brésilien No meio do caminho, « Au milieu du chemin », J.-A. Miller se met au travail et n’impose aucun savoir. Comme dans une cure, son écriture est marquée par des répétitions et s’y observe une élaboration suivant trois temps logiques [2].

Il y a d’abord l’instant de voir « la pierre au milieu du chemin » dans le poème, puis le temps de comprendre « son secret sévère, sublime et mystérieux », à savoir que « le chemin crée la pierre qui se rencontre en son milieu ». Par une allégorie, par des répétitions qui soutiennent une dynamique de découvertes, la pierre y devient « l’os, l’obstacle » rencontré par chaque analysant sur le trajet de sa cure : « c’est parce qu’il y a l’obstacle qu’il y a répétition et c’est parce qu’il y a répétition que se perçoit l’obstacle ». Avançant sur le chemin de sa parole, chaque analysant y rencontre une pierre, un os qui y existait déjà, et qui devient obstacle contre lequel il bute, « l’obligeant à une répétition inconsolable » pour poursuivre. Comme dans une cure, les répétitions dans le texte ne sont pas de simples redites, elles participent d’« un mouvement en spirale », source d’une avancée pour le lecteur, tel un analysant dans son temps de comprendre. Le chemin et la pierre sont tous deux la terre qui parle, parce qu’en son milieu, il y a un être parlant. Par sa prise de parole dans le transfert se produisent des émergences de l’inconscient, le sujet disparaissant derrière les signifiants.

La fin de la première partie de l’ouvrage nous révèle que cet os n’est rien d’autre que l’objet a, source des mouvements répétitifs. J.-A. Miller en vient ainsi à nous présenter le concept de réduction dans la cure, opération cruciale dans l’avancée d’une analyse. Il en isole trois mécanismes, qui participent d’un déshabillage de l’être au cours d’une cure et dont le résultat, au terme de celle-ci, est l’os.

Ce choix d’écriture invite le lecteur au travail parcouru pas à pas par J.-A. Miller. Il témoigne de son souhait de transmission d’un savoir autre, par l’exposé d’un trajet, d’une élaboration qui offre au lecteur de saisir ce qui s’opère sur le chemin de parole, seulement possible dans une cure analytique.

[1] Cf. Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin, 2018.

[2] Cf. Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 213.