… de qui sommes–nous frères …

par Corinne Chabot

« …de qui sommes–nous frères ?...[1] »

Sans le Nom du Père, la horde des frères peut mener au pire

La discrimination est le fondement politique du FN, que Jean-Marie Le Pen théorisa simplement : « Je préfère mon frère à mon cousin, mon cousin à mon voisin et mon voisin à un étranger ». Lacan, lui, nous dit : « …sachez que ce qui monte, qu’on n’a pas encore vu jusqu’à ses dernières conséquences, et qui, lui, s’enracine dans le corps, dans la fraternité du corps, c’est le racisme ».[2]

En Guyane ce printemps 2017, des nouveaux visages de la ségrégation avancent encagoulés, corps musclés de noir vêtus. En référence au péplum américain[3] « 300 », ils s’appellent les « 500 Frères ». Collectif contre l’insécurité né quelques jours après un nouvel homicide dans un quartier populaire. S’affirmant sans violence mais aux actions chocs, ils ont leurs emblèmes : la cagoule, un logo[4], un slogan : « On en a marre, ça suffit ». Interrogé sur le port de cette cagoule qui rappelle les pratiques de groupes armés (KKK, FLNC…), l’un d’eux explique : « La cagoule ça gêne, en général quand quelque chose gêne, on y prête plus attention ».

Tous sont excédés par la criminalité record de la Guyane. Leurs revendications[5] tiennent plus de celles d’un syndicat de police que d’un collectif citoyen ! Elles portent sur la sécurisation de leur Département d’Outre-Mer et visent d’abord à exclure « l’autre méchant ». Depuis leur position anti-système, ils dénoncent l’impuissance de l’Etat tout en sollicitant son renfort. Ici, ce collectif tend à se substituer aux forces de l’ordre.

La Guyane est un grand département peu peuplé, d’une pauvreté extrême, gangréné par la délinquance liée au trafic de drogues et à l’orpaillage illégal, ruine écologique. C’est un désastre en terme socio-économique, de santé publique, d’éducation.

 

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© Salvatore Puglia

Successivement colonie d’esclaves puis colonie pénale dans laquelle fut déporté le Capitaine  Dreyfus, c’est sur cette terre de relégation que De Gaulle établit, en 1965, le centre spatial devenu base de lancement européen à renommée internationale, fierté de la France. La Guyane est un miroir qui nous renvoie une certaine ambiguïté des gouvernements français vis-à-vis des ultras marins. De son passé colonial, la France n’en finit pas de ne pas faire le deuil laissant ces territoires dans une précarité toute ségrégative.

Après des négociations avec le gouvernement, les « 500 frères » se sont divisés et un nouveau collectif, du nom de « Grands frères » est né ; la ségrégation engendre la ségrégation. Sans le Nom du Père, la horde des frères peut mener au pire, comme en témoigne le visage extrémiste islamiste prôné entre autres par les « Frères musulmans ». Du « Grand frère » des cités aux « 500 frères » de Guyane, une série se fait jour soulignant le paradoxe de toute formation dite fraternelle. Construite en réaction à une violence endogène qui écarte du lien social, certains de ces collectifs instaurent parfois à leur insu un traitement ségrégatif de cette violence.

Au cours de l’histoire, contrairement aux Frères, les femmes avancent à découvert usant de la langue pour se faire entendre de l’Autre barbare, à l’exemple des Mères de la Place de Mai en Argentine, et du fameux « No pasaran ! » de la pasionaria Dolores Ibarrruri Gomez… Des mères éclairées tenteraient-elles de réguler la jouissance en trop des frères ?

[1] J. Lacan, …ou pire , Séminaire XIX, 1971-1972, p.235-236.
[2] Ibid. cit
[3] Film de Zack Snyder qui retrace la bataille de Thermopyles : Léonidas part en guerre avec ses 300 meilleurs guerriers contre l’armée des Perses commandée par Xerxès
[4] Une épée et deux revolvers au canon baissé le tout barré d’un stop.
[5] http://www.franceguyane.fr/actualite/faitsdivers/500-freres-et-trop-violans-ce-qu-ils-demandent-exactement-336573.php