Entretien avec Aurélie Van den Daele

Vecteur Théâtre et Psychanalyse

Rencontre avec Aurélie Van den Daele
par Christiane Page, Agnès Vigué-Camus et Clément Fromentin 

Entretien proposé par le collectif « Théâtre et psychanalyse », avec Aurélie Van Den Daele qui met en scène Métamorphoses d’après Ovide et Ted Hughes, au Théâtre de l’Aquarium, du 1 au 26 mars. Le 4 mars, vous êtes convié au débat organisé par le collectif à l’issue de la représentation avec Marie-Hélène Brousse, psychanalyste, membre de l’ECF.

Agnès Vigué-Camus : Vous avez écrit que Les Métamorphoses vous poursuivent depuis l’enfance. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Aurélie Van den Daele : J’étais très intéressée par ces histoires fantastiques, par le côté ancestral, archaïque, qui me permettait d’expliquer un monde que je ne comprenais pas tout à fait. Enfant, j’étais une très grande lectrice ; ensuite, au lycée, on a travaillé sur la destinée et j’avais choisi de montrer comment la notion de fatalité, de tragique, est inscrite dans la mythologie. Plus tard, c’est une commande d’écriture à un auteur qui m’a fait revenir aux Métamorphoses. Finalement elles ont jalonné tout mon parcours et je me suis dit que c’était le bon moment pour les traiter.

A.V. : Un bon moment aussi dans l’époque ?

A.V.D.D. : En sortant de Angels in America, j’étais un peu « sèche » parce que c’est une très grande œuvre. Je me demandais ce qu’on pouvait monter après. J’avais à la fois envie de parler de politique, de la nature et de l’univers, de saisir comment j’étais un individu dans un tout. J’ai alors relu Les Métamorphoses et j’ai trouvé qu’Ovide avait une manière de re-poétiser notre environnement. Certaines métamorphoses me semblaient extrêmement actuelles, surtout dans la version qu’en propose le poète Ted Hugues. Quand j’ai lu « Les quatre âges », il m’a semblé que c’était une description d’aujourd’hui, avec cet âge de fer où l’on puise dans la terre, où l’on pense qu’elle n’est plus une richesse mais une ressource à exploiter jusqu’au bout. C’était le bon moment pour parler de la nature et de notre âme d’humain.

Christiane Page : un autre thème revient dans chaque métamorphose que vous avez choisie, celui de la haine.

A.V.D.D. : En effet, là aussi le lien avec l’actualité se fait tragiquement sentir. Il y a une idée qui prévaut en ce moment, celle du théâtre de l’intime, de la famille, de quelque chose avec de toutes petites cellules qui reflètent la société. Pour ma part, j’avais plutôt envie d’aborder quelque chose de total, de grandiose et de mettre en perspective ce monde très archaïque avec le nôtre, de montrer ces redites de l’histoire.

A.V. : C’est ce que vous appelez « cette matière qui pourrait être réécrite sans fin ». La formule est belle et énigmatique.

A.V.D.D. : Les Métamorphoses ont été écrites, réécrites, elles ont inspiré un grand nombre d’artistes, mais quand on les lit, quand on lit ce désir sexuel intense qui meut Térée ou la haine de la nature que peut avoir Erysichton, l’œuvre nous paraît très actuelle. J’ai voulu montrer que cette matière vient de là, de très loin et qu’elle continue à être au cœur des préoccupations humaines. Je pense qu’on manque un peu de mise en perspective. On a l’impression parfois que l’événement vient d’advenir et qu’il n’a pas de cause.

A.V. : Il y a aussi une rencontre avec le texte de Ted Hugues dont la langue exprime la cruauté du mythe et sa beauté.

A.V.D.D. : J’ai eu une vraie rencontre avec ce texte qui m’a semblé avoir le feu et la vigueur du mythe. J’ai eu un coup de foudre pour cette langue et pour cette personnalité de poète maudit, puisque Ted Hugues, mari de Sylvia Plath la poétesse, a été accusé de son suicide. Il n’est pas maudit de la même manière qu’Ovide qui, lui, finit sa vie en exil, puisqu’il est encensé par la reine. Mais tout de même, c’est cette destinée tragique qui m’a intéressée.

Clément Fromentin : Je voulais vous interroger sur la mise en scène alors que vous dites que votre travail repose avant tout sur la « transposition ». Dans cette perspective, vous faites une grande place à la musique. Quelle place accordez-vous à la musique et aux musiciens dans cette partition ?

A.V.D.D. : C’est une partition pour quatre interprètes et la musique est très importante dans le travail mené : sa hauteur, sa composition. L’idée est que les musiciens n’accompagnent pas, qu’ils ne fassent pas une bande son. Les mythes créent de l’émotion et on pourrait avoir envie de soutenir cette émotion en prolongeant le geste, en allant dans le même sens avec de la musique. Les musiciens participent activement à la fiction, de telle sorte qu’ils ne sont jamais seulement musiciens, mais ont toujours une place dans la fiction, qui peut être soit de l’ordre de la magie, soit de la narration, soit de l’acteur.

CF : Comment met-on en scène ces actes inhumains ? Manger son propre enfant, violer sa belle-sœur, lui arracher la langue. Comment mettre en scène cette cruauté et cette pulsion de mort alors même qu’aujourd’hui, la rhétorique visuelle de Daesh, donne à voir des meurtres en direct ?

A.V.D.D. : Le théâtre, c’est toujours représenter l’irreprésentable, il ne doit pas rentrer être gratuit. Il y a assez d’images suffisamment dures dans notre société pour que le théâtre ne les copie pas et qu’il puisse se réapproprier cette violence par l’évocation ou la poésie. C’est pour cela que je parle de transposition.

On a plutôt envie de parler de la privation du langage. La batteuse, qui sûrement jouera Philomèle a travaillé sur la manière dont, pour celle qui chante et joue de la batterie, cette langue pouvait disparaître et comment il pouvait y avoir une déformation du son et de son humanité.

Pour le repas, il y a deux ans, aux Amandiers, j’avais vu une mise en scène très intéressante de Thyeste de Simon Stone, artiste associé à l’Odéon. Dans ce texte il y a aussi un repas cannibale. Le metteur en scène donnait l’information par écrit avec des sortes de didascalies projetées sur un écran sur le côté. Ensuite on voyait le frère manger un plat de spaghetti. C’est notre esprit qui faisait le trajet entre le texte qu’on nous donnait à lire et ce qu’on voyait sur scène. C’était bouleversant ; c’est vraiment le moment où l’image rejoint l’information reçue. Ce procédé m’a beaucoup intéressée et j’ai eu envie de le travailler pour Les Métamorphoses. Donc, le viol ne va pas être représenté. Ce n’est pas du cinéma réaliste.

CF. : Le savoir est impuissant à empêcher la réalisation du destin. Cela arrive, même si on le sait.

A.V.D.D. : On a envie de travailler sur l’idée que le spectateur saura et, on va interroger plutôt le comment…

CF. : C’est la charte dont vous parlez. Vous présentez la fin du mythe avant le début.

A.V.D.D. : Tout à fait. Beaucoup de gens connaissent les mythes, même si ceux qu’on a choisis ne sont pas les plus connus. On n’a pas la prétention de créer un suspense avec cela mais plutôt de chercher comment cela mis en œuvre, comment ces choses-là s’agencent, comment elles adviennent, alors même que les personnages avaient des clefs en leur possession. C’est une thématique fondamentale de l’être humain.

CF. : Cela rejoint la psychanalyse. L’inconscient, c’est la lettre volée d’Edgar Poe, elle est là depuis toujours, on en connaît le texte, mais si on ne le déchiffre pas, cela n’empêche rien.

A.V.D.D. : C’est fascinant théâtralement. L’idée était aussi de structurer notre travail, de partir de cette matière littéraire. C’est une Charte qui a vocation à être transgressée ensuite, mais qui a structuré notre travail et nous a aidés à trouver un dispositif pour parler de ces Métamorphoses. C’est un dispositif qui questionne l’ancestralité du mythe pris en charge par une vidéo projetée au début de chaque mythe et qui le fera raisonner avec notre époque. Et cela, ce serait vraiment le plateau de théâtre qui le prendrait en charge avec la transposition contemporaine. Les règles de cette Charte vont s’établir petit à petit, même si on en a déjà fixé une série. C’est l’idée d’un parcours ludique, qui cherche à travailler avec cette matière ; pour moi, l’axe principal était de trouver comment monter Les Métamorphoses, en partant du texte antique et en faisant un travail sur le théâtre contemporain. Comment allier les deux…

C.P. : C’est pour cela que je trouve très intéressant la question du dispositif : d’une part la vidéo qui montre l’accompli et d’autre part les moments de spectacle vivant.

A.V.D.D. : Je ne l’aurais pas dit ainsi, car aujourd’hui on utilise beaucoup la vidéo au théâtre plutôt pour faire des gros plans et c’est fascinant ; mais ce qui est vrai c’est que ces médias ne racontent pas la même chose et c’est ce qu’on a envie d’interroger. C’est un choix esthétique. Les Métamorphoses sont très difficiles à représenter théâtralement : un être humain en train de se dévorer lui-même, des êtres en train de se transformer en oiseaux… l’idée c’est aussi de questionner, non pas les limites au sens restrictif, mais les domaines, les bordures de ces deux arts et de voir comment ils pourraient s’enrichir mutuellement.

C.F. : Pour les vidéos en décor naturel, le film de Christophe Honoré a-t-il joué pour vous ?

A.V.D.D. : Notre créateur vidéo est plutôt intéressé par Bill Viola et l’idée de ralenti ; on part aussi des références de Lars Von Trier dans la fin de sa filmographie avec notamment Melancholia, L’Antéchrist, c’est-à-dire une esthétique très forte, intéressante aussi notamment par rapport au fait que dans le Dogme, il refusait complètement ça.

C.P. : Est-ce que ça va avec l’idée de ne pas jouer mais d’incarner ? Vous parlez de figures, du refus de la psychologisation. Et en même temps, vous parlez d’incarnation mais pas de jeu alors que traditionnellement, on dit que quand on joue on crée une distance et que quand on incarne, on va au-delà.

A.V.D.D. : Pas de psychologie en effet ; on essaie de ne pas psychologiser les actes de Térée, mais de se dire que le principal moteur du travail, c’est le désir. On travaille en essayant techniquement de voir comment pourrait se représenter le désir : quand Térée voit Philomène, c’est très décrit, et on s’est demandé : que faire de cette description, techniquement ? L’acteur ne joue pas en se disant « je l’imagine », mais il cherche plutôt des actions fortes qui racontent ce désir de près ou de loin. C’est en ce sens-là que les comédiens incarnent une identification entre le sentiment que je leur donne et ce que je leur demande de jouer. Pour moi, il y a de l’incarnation car ils ne sont pas du tout à distance, ils sont au cœur de la kyrielle de sensations que jouer ces métamorphoses leur demande ; c’est très organique. Et pourtant je leur demande de ne pas jouer le fait qu’il y ait le coup de foudre.

C.P. : c’est donc au niveau du corps que les choses se passent.

A.V.D.D. : Bien sûr, l’imaginaire passe par le corps.

Réservation impérative par téléphone au 01 43 74 99 61 ou par mail en entrant le code enversdeparis sur le lien http://www.forumsirius.fr/orion/aquarium.phtml?offre=

Samedi 4 mars à 20h