Entretien avec Julie Duclos

Vecteur Théâtre et Psychanalyse

Rencontre avec Julie Duclos
par Christiane Page et Philippe Benichou

Entretien proposé par le collectif « Théâtre et psychanalyse », avec Julie Duclos qui met en scène MayDay de Dorothée Zumstein, à La Colline.  Vous êtes convié au débat organisé par le collectif à l’issue de la représentation le mardi 28 février avec Francesca Biagi-Chai, psychanalyste, membre de l’ECF.

Philippe Benichou : Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené à la mise en scène ?

Julie Duclos : Je suis née dedans en quelque sorte, une mère metteure en scène et professeure de théâtre à la fac, et un père acteur. Ils tenaient une école de théâtre ensemble et petite, je regardais les acteurs travailler. J’ai ensuite eu un parcours de comédienne, avec une formation de cinéma à Paris VIII et le Conservatoire national à Paris. J’y ai eu l’opportunité de faire un atelier d’élève qui fut ma première expérience de mise en scène et m’a confirmée dans un désir qui était déjà là. J’ai adapté les Fragments d’un discours amoureux de Barthes,  c’était un grand collage de textes, puis monté avec ma bande du Conservatoire Masculin/Féminin, et enfin, Nos serments, que nous avons joué à la Colline, et qui est inspiré du film de Jean Eustache La maman et la putain. Chacun de ces projets avait impliqué un travail d’écriture pour la scène. Avec MayDay, c’est la première fois que je monte une œuvre théâtrale.

PB : Et le choix du film d’Eustache ?

JD : Je connaissais le scénario car j’avais travaillé ce texte dans le cadre de cours de cinéma avec Philippe Garrel.

Christiane Page : Cela ne vous semblait pas trop daté ?

JD : Le film peut-être, mais le texte avait pour moi une modernité, l’ayant découvert d’abord comme actrice avec Garrel, dans une approche qui cherchait à capter les êtres tels qu’ils sont. Ce qui m’a intéressé ensuite, c’était les situations amoureuses et de désir qui restent intemporelles à mes yeux.

PB : Comment avez-vous découvert le texte de Dorothée Zumstein dont le titre original est Big blue eyes (publié aux Editions Quartett) ?

JD : Je connaissais l’auteure par mon père qui en a fait la préface. J’ai tout de suite aimé cette pièce. Je l’ai découverte il y a plusieurs années, avant même de commencer mon travail de mise en scène. La structure de l’œuvre est fragmentée, c’est ce qui m’a plu en premier lieu.

PB : Cette dimension semble vous habiter, pourriez-vous nous éclairer sur sa valeur pour vous ?

JD : Un auteur invente un langage, un rapport au monde. Cette façon de percevoir le monde, fragmentée, permet de procéder à des collages, de faire du montage – activité que j’adore faire sur le plan cinématographique et que j’inclus dans les vidéos qui font partie de mes spectacles. Le montage c’est mettre en rapport des fragments, par le collage on indique ce qu’il y a “entre”. C’est aussi porté par le plaisir associatif. Dans mon dossier sur les Fragments, je parlais d’ailleurs de psychanalyse et du fonctionnement des associations libres. On est structuré comme cela, même si socialement on se “tient”, on construit, mais l’humain est plus « fou » que cela. Le monde intérieur est associatif, une image, un mot renvoie à un autre.

CP : Dans la pièce les personnages évoquent leur passé au présent et pour votre mise en scène vous parlez d’une juxtaposition des temps présents et passés, d’une coexistence des temps différents.

JD : Il s‘agit d’une pièce sur un temps où toutes les temporalités pourraient coexister. Ce n’est pas une approche réaliste et c’est pour moi merveilleux comme façon de raconter ce qu’est la mémoire, et ce qu’est un sujet. Il y a des moments où le personnage principal est présent comme adulte et comme enfant, dans le même temps. Cela fait exploser toute linéarité réaliste et surgir ce qui a été enfoui.

PB : C’est l’histoire de trois générations de femmes. La pièce est une écriture inspirée du travail formidable d’une journaliste, Gitta Sereny, (Une si jolie petite fille, Points) sur l’histoire de Mary Bell, qui fut meurtrière à onze ans de deux petits garçons, et qui fut l’objet d’une vindicte de la part de la presse, et qui fut condamnée sans que personne ne se soucie de comprendre les circonstances de ce passage à l’acte. Ce que la pièce met en évidence, c’est un geste, un geste qui traverse l’histoire de ces femmes.

JD : C’est ce qui a intéressé l’auteure, l’idée inquiétante d’un geste qui traverserait le temps et s’incarnerait dans les corps, en ce sens cela renvoie à la psychanalyse. Pour moi c’est une pièce sur l’inconscient.

PB : Cet inconscient sur scène, comment le représentez-vous ?

JD : Si on s’arrête au texte c’est insuffisant, il faut déployer un monde plus vaste, contenu sous le texte. Le travail avec l’acteur vise à ce qu’il abandonne sa maîtrise. Je lui demande notamment d’écrire des monologues intérieurs pour qu’il ouvre un imaginaire en lui, et se transforme peu à peu, en se mesurant à une autre manière d’être que la sienne.

PB : Et dans la mise en scène ?

JD : Ce spectacle est une grosse machinerie qui combine à égalité le son, la lumière, la vidéo, le travail d’acteur, pour nous donner accès à ce qui se passe à l’intérieur de cette femme et à sa mémoire, et tenter de ressentir son intériorité.

CP : L’ouverture de la porte est présente dans le texte. Vous l’avez utilisée ?

JD : J’ai imaginé un décor de ruines, comme un morceau de maison abandonnée, avec de multiples ouvertures, des trous, un lieu pouvant en contenir d’autres. L’idée était d’éviter une représentation réaliste en créant un espace qui laisse place à l’imaginaire et puisse donner à voir autre chose que ce qui est montré. L’idée, c’est que le spectateur quitte la pièce avec les images vues, certes, mais aussi avec ce qui n’a pas été montré mais évoqué. Comme dans la poésie. Le texte est aussi caractérisé par le fait qu’il y a des phrases que plusieurs des femmes ont en commun, un peu comme ce geste qui se répète. C’est étonnant. L’auteure fait circuler ces phrases de façon mystérieuse d’un personnage à l’autre, sans chercher à nous en donner l’interprétation.

CP : Est-ce que vous anticipez quelque chose des réactions des spectateurs ?

JD : Oui, je veux montrer l’être dans ce qu’il a de plus complexe. Chacun fera son chemin avec cette mère, cette grand-mère. Je ne prends pas parti, j’essaie de donner à voir sans porter de jugement moral.

Vous pouvez réserver vos places à tarif préférentiel au nom de L’Envers de Paris, auprès d’Anne au 01 44 62 52 69

Le 28 février à 19h30