littérature & psychanalyse

Mes mauvaises pensées : Nina Bouraoui pas-folle-du-tout
par Marie-Christine Baillehache

Consentant, dans sa cure, à se faire docile à l’énigme du silence de son analyste, N. Bouraoui retrouve « la spirale des mots »(1) dans le même temps où elle empreinte la voie de son désir qui n’est pas « juste un désir du corps mais aussi un désir de vivre »(2)Ce nouveau rapport à sa parole où se sont introduits un silence énigmatique et un mouvement vivant – « Vous êtes silencieuse » dit-elle à son analyste, « c’est vers ce silence que je dois aller »(3) – renouvelle radicalement son écriture littéraire. Elle abandonne l’« écriture blanche »(4) de la belle forme impersonnelle et se voulant sans faille qui jusque là défendait sa « peur de déstructurer [son] langage »(5) et engage son écriture sur la voie métonymique. Avec son roman de 2005 Mes mauvaises pensées, en mettant à l’œuvre la forme littéraire métonymique appropriée à sa parole associative sous transfert, elle effectue ce tournant décisif dans son écriture en l’obligeant, désormais, à s’y « tenir au plus près »(6) du réel.

« Je souffre d’écrire sur la mort, je ne peux pas écrire sur la sexualité, les deux sujets me semblent tenir sur la même ligne. Je n’ai pas honte de la sexualité, j’ai peut-être honte de la jouissance. »(7)

C’est sa propre jouissance de mort que N. Bouraoui vient questionner dans sa cure. Au-delà de son symptôme de honte qui la satisfait et l’interdit, cette jouissance en trop la renvoie à sa question, peut-être, sur son être, sur son peu d’être. Parce que cette jouissance n’y répond pas, elle en appelle à la parole associative sous transfert.

Elle y trouve la métonymie mettant en jeu ce que Lacan nomme le « pour être »(8). Cet enjeu de la manifestation de son être menacé par sa jouissance de mort, son écriture métonymique la vise et la redouble : « Je n’ai pas honte de ma parole, j’ai toujours écrit. »(9) Dans sa cure et dans son écriture, cet exercice du glissement métonymique du sens la pousse à produire sans limite du sens jusqu’à ce qu’elle trouve immanquablement le terme au point « où le sujet ne peut se nommer »(10)C’est en ce point où l’Autre du sens lui fait défaut que N. Bouraoui se confronte au désir de cet Autre qui « l’aspire littéralement et [la] laisse sans recours »(11). Son corps, d’y être trop impliqué, fait disparaitre son sujet de la parole et son être.

«  Il y a toujours ce moment dans ma vie où je me laisse faire, où je m’abandonne, où l’on pourrait tout faire de moi, où on pourrait tout faire de mon corps. »(12)

C’est sur ce point du ravissement de son corps et de son rapport à l’au-delà du désir de l’Autre maternel que notre Vecteur littérature et psychanalyse poursuivra son travail le Mardi 5 Novembre.

Notre Vecteur reste ouvert à tout désir d’y travailler cette question orientée par les J49. Contact Marie-Christine Baillehache> ou 06 42 23 37 03

 

(1) Bouraoui N., Mes mauvaises pensées, Paris, Ed. Stock, 2005, p. 79.

(2) Ibid., p. 79-80.

(3) Ibid., p. 11.

(4) Ibid., p. 20.

(5) Ibid., p. 20.

(6) Ibid., p. 51.

(7) Ibid., p. 80.

(8) Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation,  texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière / Le Champ freudien ed., 2013, p. 514.

(9) Bouraoui N., Mes mauvaises pensées, op.cit., p. 10.

(10) Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, op. cit., p. 488.

(11) Ibid., p. 508.

(12) Bouraoui N., Mes mauvaises pensées, op.cit., p. 51-52.