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Psychanalyse & Littérature

LOLITA : un défi au langage

Vladimir Nabokov à propos de "Lolita"

Compte rendu séance de
septembre 2017

Emigré aux Etats-Unis depuis 1940, où il est professeur de littérature à Cornell University et entomologiste chargé de recherche au Muséum of Comparative Zoology de Harvard, V. Nabokov écrit Lolita, en 1955, en plein Maccarthisme. Jugé trop scandaleux, son roman lui vaut de nombreux refus de la part des éditeurs américains craignant les représailles et la prison. Publié alors en France par Olympia Presse, les éditions de Maurice Girodias, qui compte à son catalogue J. Genet, G. Bataille, H. Miller, il passe pour une œuvre sulfureuse et est interdit par la Brigade Mondaine française. Ce n’est qu’en 1958 que le roman, après une longue bataille juridique, est publié aux Etats-Unis et que le gouvernement français lève enfin la censure sur Lolita. De famille aristocratique russe très aisée, très cultivée, libérale engagée et ayant connue, sous les coups de l’Histoire, de nombreux exils en France, en Angleterre, en Allemagne, V. Nabokov, en 1955, a déjà écrit une quinzaine de livres, en russe, en français et en anglais et a acquis une solide reconnaissance littéraire aux Etats-Unis. La sophistication de ses compositions littéraires, son écriture en fragments, ses mises en abimes, l’imagination foisonnante de ses récits, son usage de la satire et des jeux de mots dans différentes langues lui valent son renom d’écrivain « virtuose dans le maniements des discours »[1].

Reconnu comme un chef-d’œuvre de poésie en prose par de nombreux écrivains et critiques littéraires de son époque, Lolita, par l’audace de son sujet, n’en provoque pas moins chez ses lecteurs un malaise moral et littéraire durable. Son roman est le récit écrit par un pédophile depuis sa prison où il est enfermée pour meurtre et dans lequel il raconte comment il fut prêt à tout pour posséder son objet de désir idéalisé, une fillette de 12 ans surnommée Lolita. Avec franchise et cynisme, Humbert Humbert dévoile les manipulations et les mensonges qui lui ont permis de capturer sa nymphette : après avoir épousé sa mère, Me Haze, et avoir tenté de la tuer, il profite de la mort accidentelle de celle-ci, pour capturer et maintenir prisonnière sa Lolita dans un road-movie en voiture à travers les Etats-Unis et finit par tuer son rival, Clare Quilty, avec qui sa Lolita lui a échappé. Pédophilie, inceste, mensonge, manipulation sont les ingrédients romanesques qui font de Lolita une apothéose d’immoralité. Avec Lolita, Nabokov inscrit son écriture dans l’histoire littéraire et son débat sur l’indépendance de l’art d’avec la morale normative de son époque : il soutient avec force que si son roman « Lolita ne trimballe derrière lui aucune morale. »[2] , c’est que toute l’audace scandaleuse revient à son écriture. Renvoyant sa réputation d’écrivain libertin aux « banalités exprimés par des mots usés »[3], V. Nabokov défend son souci d’utiliser le sexe et la transgression comme un défi au langage et à l’écriture. Sa visée d’écrivain est « d’accorder à un détail apparemment incongru la suprématie »[4] et d’en rendre dicible le « choc initial »[5], le « frisson spirituel »[6]. Et s’il recommande au lecteur de lire les grands écrivains russes, allemands, anglais et français, «non pas avec son cœur, non pas avec son esprit, mais avec sa moelle épinière : c’est là que se produit le frisson révélateur. »[7] , c’est que cette implication du corps érotique intime du lecteur résonne avec sa recherche d’une jouissance esthétique par une écriture fragmentaire et puissamment évocatrice. Avec Lolita, Nabokov affirme plus que jamais que son travail d’écriture met en jeu un objet de jouissance capable de subvertir le langage sans craindre de scandaliser le Discours du Maitre de son époque.

Marie-Christine Baillehache


[1] M. Couturier, « Nabokov », 2004, Ed. L’âge d’homme, 2004, p. 69.

[2] V. Nabokov, « Lolita », 1955, « A propos d’un livre intitulé Lolita », 1956, Ed. Gallimard, 2001, p. 528.

[3] V. Nabokov, « Littératures », 1980, Ed. R. Laffont, 2010, p. 893.

[4] V. Nabokov, Idem, p. 486.

[5] V. Nabokov, Idem, p. 491.

[6] V. Nabokov, Idem, p. 492.

[7] V. Nabokov, Idem, p. 300.

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