Flèches pour la projection de MEMORIES OF MURDER de BONG JOON HO

Katie ABRIL

« La décision anticipe sur la certitude[1] »

Memories of Murder est un film de Bong Joon-Ho qui présente l´enquête menée par la police en Corée pour attraper un violeur et tueur en série entre 1986 et 1991. Ce film montre très bien les processus de démocratisation et d´actualisation technologiques que subit la Corée du Sud à ce moment-là. Ainsi deux policiers passionnés se trouvent face à un défi qui les dépasse à cause du peu de moyens dont ils disposent. Le détective Park, joué par Song Kan-Ho, est sûr de sa capacité à saisir l´instinct criminel par le regard du suspect, sans cet instinct « j´aurais quitté la police » dit-il. En revanche, le détective Seo, joué par Kin Sang Kyung, ne fait confiance qu´ aux documents. Alors, tous les deux travaillent sans relâche, chacun à sa façon, pour découvrir le criminel.

Non sans difficulté l´enquête avance : ils arrêtent un suspect sur lequel il y a de très forts indices de culpabilité. Qu´est-ce qui fait qu´ils vont lâcher la piste de ce criminel ? Leur besoin de certitude qu´ils ne parviennent pas à obtenir du test d´ADN, ni des aveux du témoin, ni du manque d´alibi du suspect.

Les policiers veulent une preuve incontestable avec des garanties mais grâce à Lacan nous savons qu´il n´y a pas de garanties car il n´y a pas d´Autre de l´Autre comme on peut le lire dans les Séminaires « Le désir et son interprétation » et « L’envers de la psychanalyse ».

Les deux policiers ne s´aperçoivent pas qu´ils ont toutes les preuves pour que le suspect soit condamné et qu´il s´agit de prendre la décision de l´amener en justice car c´est « la décision qui anticipe sur la certitude » . Cette décision est appuyée sur un acte de foi et non sur une certitude. En revanche, ce que montre ce film est l´essai du passage à l´acte de ces deux policiers comme un acte de désespoir.

Katie Abril, Anne Ganivet et Jessika Schlosser

Karim BORDEAU

Dans son film Memories of Murder Bong Joon Ho nous apprend un peu de ce que Jacques Lacan énonçait quant au passage à l’acte : « Aux limites du discours, en tant qu’il s’efforce de faire tenir le même semblant, il y a de temps en temps du réel. C’est ce qu’on appelle le passage à l’acte.[2]»

La façon saisissante dont le cinéaste noue la vérité, le discours scientifique et cette difficile problématique du réel, donne un juste éclairage aux formules lacaniennes qui cernent la structure de la jouissance en jeu à l’occasion de certains passages à l’acte criminels : « Parler d’un excès de libido est une formule vide de sens.[3] » Ce n’est pas nécessairement un débordement de libido qui, en effet, est aux commandes. Lacan le précise très bien : il s’agit plutôt « d’un défaut que d’un excès vital.[4] » Ce qui se manifeste par une «  froideur libidinale[5] ».

Jacques –Alain Miller nous a appris à lire ce « trou » de jouissance du côté l’événement de corps, insaisissable dans une perspective purement biologique – comme le montre très singulièrement le film.

Jessika SCHLOSSER-HANON :

« Si la psychanalyse irréalise le crime, elle ne déshumanise pas le criminel. »[6]

L’originalité de ce deuxième long-métrage de Bong Joon Ho est l’absence de fin concluante : deux policiers aux méthodes opposées (l’instinct versus la méthode) échouent à résoudre l’énigme de la vérité du tueur en série qui sévit alors. Dans les Écrits, Lacan rappelle le nouage entre le criminel et sa société, à travers son crime il la médiatise par une jouissance bien à lui. Le style du meurtrier – la sophistication avec laquelle il élabore ses crimes- est anecdotique : la trame narrative s’oriente de l’enquête qui achoppe sur les multiples façons dont on piste le tueur. Le signifiant ultime de la science et du biologique couronné par le test ADN à la fin rate à identifier clairement le tueur renvoyant le film à un dos à dos entre l’énigme[7] et les méthodes scientifiques : ce qui relève de l’objectivité et la brèche ouverte par l’impossibilité à tout contrôler. Ce film enseigne qu’il y a encore des efforts à faire pour comprendre les criminels de son époque et que l’acte demeure irréductible au biologique.

Leïla TOUATI :

« (…) dans une civilisation où l’idéal individualiste a été élevée à un degré d’affirmation jusqu’alors inconnu, les individus se trouvent tendre vers cet état où ils penseront, sentiront, feront et aimeront exactement les choses aux mêmes heures dans des portions de l’espace strictement équivalentes.[8] (…) »

Memory of Murder de Bon Joon-Ho (2003) retrace l’histoire du premier cas de criminel en série qui a horrifié la Corée du Sud dans les années 80. Le cinéaste déclare avoir été particulièrement attaché à l’idée de restituer le plus finement possible cette étrange époque que furent les années 80, avec aussi – pour cette nation de la Corée du Sud – le passage d’une dictature militaire à une démocratie néolibérale, de manière brusque et sans transition! Et si comme le dit Lacan le criminel et la société sont noués, l’émergence d’une société capitaliste et individualiste à l’américaine entraine peut-être l’apparition – systématique – de cette figure du tueur en série, comme symptôme face à l’injonction du même.

[1] Jacques Alain Miller, “Donc, la logique de la cure”, inédit, cours de 1993-1994, inédit, séance 1 décembre 1993

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p.33

[3] Lacan J., Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.148.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] J. LACAN, « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie », Ecrits, Paris, Seuil, 1966, Page 129.

[7] J. RICHARDS « La place de l’énigme dans l’expertise », LCD n°98, pages 56 à 58

[8] J.LACAN, Écrits, page 144 « Fonctions de la psychanalyse en criminologie »