Psychanalyse et littérature

Compte rendu de la réunion du
9 novembre 2016

Par l’angle de l’expérience sensible indémontrable ou par l’angle du cérémonial, la religion est pour Freud une illusion résorbable par la psychanalyse. C’est ce point de vue freudien sur la religion que J-A Miller, dans « Religion, psychanalyse », reconsidère pour l’articuler à l’analyse que Lacan propose de la religion.

Ecartant la dimension de l’ « expérience subjective vécue, privatisée » qui rattache la religion au rapport direct, sans cérémonial, à la vérité du « SKESAMFE »[1] , Freud considère la religion sous les hospices de ses rituels communs institués, rigides et restrictifs. Pour lui, la religion est une névrose et une névrose obsessionnelle collectivisée. La religion « métaphorise » la névrose obsessionnelle qui exécute des rituels dont le sens lui est opaque mais le rattache à une tradition commune. Son approche psychanalytique de la religion, Freud la pousse jusqu’à faire du « renoncement à la satisfaction pulsionnelle. »[2]

Lacan radicalise la satisfaction pulsionnelle freudienne avec son concept de jouissance et ramène la puissance de la religion à cet enjeu de jouissance. Liant l’avancée de la religion aux avancées de la Sciences, il en prédit le triomphe : au fur et à mesure des disfonctionnements et catastrophes occasionnés par les conséquences de la Sciences, la religion s’évertue à donner un sens à l’insensé. Là où la Sciences déclenche et enflamme la jouissance, la religion en tamponne et en évacue l’effet de réel « qui ne marche pas »[3] et que l’on subit avec un surcroit de sens auquel croire comme vérité. «  […] le religieux exploite aujourd’hui tout ce qui se place au-delà des limites de ce qui ne peut se démontrer ; Le religieux, avec son flou, son brouillard, exploite tout ce qui se manifeste comme ce que nous appelons S de A barré. Le religieux, c’est le sens que l’on se propose de donner à la faille du savoir. »[4]

Si la religion se loge dans la faille du savoir et du savoir de la Sciences, la psychanalyse est tout autant concernée par cette faille du savoir. Lacan envisage cette faille du savoir sur ses deux bords : bord du signifiant et bord de la jouissance. Sur son bord signifiant, il reconnait dans le Sujet Supposé Savoir de la cure la croyance faite au langage. Le Dieu de la psychanalyse est l’Autre du langage et sa foi repose dans l’enchainement signifiant. Ce « Dieu-dire » est « le Dieu fondé dans le fait de la parole, le factum de la parole et Lacan a pu dire dans son séminaire Encore que cet Autre comme lieu de la parole était une façon, sinon de laïciser Dieu, du moins de l’exorciser. »[5] Sur son bord de jouissance, Lacan accroche à cette faille « le Dieu de l’objet petit (a) »[6] Ainsi, si Freud faisait du renoncement à la jouissance, à sa dénégation, l’instauration de la religion, Lacan fait de la Jouissance et de son effet de Non-Rapport-Sexuel l’essence même de la religion. Et dans son dernier enseignement, il va jusqu’à faire de Dieu le trou de cette jouissance, soit « une jouissance qui excède toute mesure et qui, comme telle, introduit l’infini. »[7] Lacan fait de Dieu la jouissance féminine même et il réduit les rituels religieux qui sont censés faire barrière à cet excès de jouissance, à des habillages de semblants.

Notre XXI° Siècle en permettant toutes les jouissances s’inscrit dans cette structure trouée de la jouissance. En faisant du « fais ce qu’il te plait » sa norme, notre époque pose la question de l’éthique.

Dans son Séminaire de 1959 « L’éthique de la psychanalyse », Lacan pose que la loi soutient le désir. Elle « est là pour qu’il y ait désir »[8] . Mais, cette conception de l’éthique reposant sur le nœud entre la loi et le désir n’est plus possible à notre époque où l’absence d’actes interdits permet de jouir délesté du père et ouvre la porte à l’excès de jouissance qui est structural. L’éthique contemporaine exige de l’homme qu’il trouve son propre traitement de sa jouissance en excès sans avoir recours aux semblants de l’interdit paternel. Si Dieu est ce double bord, du signifiant coté père et de la jouissance en excès coté féminin, l’éthique de la psychanalyse, au XXI° Siècle, s’énonce ainsi :

« Les psychanalystes ne sont pas les enfants du père. Ils sont les enfants particularisés de leur jouissance. Pour faire dans l’ère post-paternelle, il s’agit de prendre la voie de son escapade. »[9]

Si le retour de la religion sa fait plus que jamais jour aujourd’hui, c’est sous des hospices inverses à l’éthique de la psychanalyse. Ce retour est celui du Dieu du sens qui colmate et dénie le réel de la jouissance en excès, mais sans interdit venant de l’Autre. Le renoncement à la jouissance qu’implique ce dénie de celle-ci, entraine l’exigence du sacrifice d’une livre de chair. Ce sacrifice de la livre de chair est ce qui alimente la haine de la jouissance de l’Autre ; haine de la jouissance de l’Autre qui n’est autre que la haine de sa propre jouissance en excès, ainsi sacrifiée. Le lieu de cette jouissance excessive et haie, Lacan la situe dans notre corps.

Nous poursuivrons ce point à partir du livre de T-N Coates « Une colère noire : lettre à mon fils. », le Jeudi 15 Décembre à 20h30.

Deux collègues ayant rejoint notre Vecteur, nous nous réunirons dans un autre lieu.
Contacter
m-christine.baillehache@orange.fr pour plus de précision.

[1] J-A Miller, «Religion, psychanalyse », «  Un effort de poésie », cours inédit du 14 Mai 2003, p. 2.
[2] J-A Miller, idem, p. 2.
[3] J. Lacan, « Le triomphe de la religion », 1974, Ed. Seuil, 2005, p. 76.
[4] J-A Miller, Idem, p. 4.
[5] J-A Miller, Idem, p. 4.
[6] J-A Miller, Idem, p. 4.
[7] J-A Miller, Idem, p. 4.
[8] J-A Miller, Idem, p. 5.
[9] J-A Miller, « Un effort de poésie », Séminaire inédit, cours du 11/06/2003.

Prochaine rencontre
jeudi 15 décembre 2016

L’Hôtel Hilton Paris Opéra
108 Rue Saint-Lazare
Paris 75009
à 20h30