Question d’Ecole : Puissance de la parole…

Puissance de la parole
Clinique de l’Ecole

                                                                                                                           « Ma première pratique s’est réglée sur le désir, entendu comme ce qu’il s’agit d’interpréter, sans pour autant méconnaître que c’est aussi bien le faire être. L’interprétation en cela est créationniste. Elle institue une certaine puissance de la parole, qu’il faut sans doute apprendre à acquérir, comme cela s’enseigne dans les contrôles[1] ».
Voilà une orientation sur la pratique : l’interprétation du désir repose sur une puissance de la parole en cela créationniste. Cette première pratique, Jacques-Alain Miller ne propose pas de l’abandonner, mais de ne pas s’y régler.
Que signifie ne pas se régler sur l’interprétation du désir ?
Deux indications importantes : « Puissance de la parole, qu’il faut sans doute apprendre à acquérir » et « ce qui s’enseigne dans les contrôles {…} essentiellement, ce que l’on tente de lui transmettre, c’est la méthode permettant à sa parole d’acquérir de la puissance ». Il ne s’agit donc pas d’une pratique de l’interprétation qui viendrait à la place d’une autre, mais bien d’un au-delà de la parole créationniste. Néanmoins, pour cette visée, la méthode est « élémentaire, elle se laisse ramener à ceci – il faut apprendre à se taire. C’est qu’il faut que la parole soit rare pour qu’elle puisse porter[2] ».
Qu’est-ce que l’on écoute quand quelqu’un vient parler de sa pratique ? Comment apprendre la rareté de la parole, avec quelle mesure ? Et sur quoi se régler ? Ici s’introduit la question de la jouissance.
Se régler sur la jouissance a une conséquence : « là, vous devez vous désister de toute intention créationniste, vous faire humble[3] ». Humble implique alors de se délester de la puissance, de la puissance de la parole, mais alors de quelle place écoute-t-on les sujets qui viennent nous parler ? Une erreur serait de croire que l’analyste maîtriserait sa puissance de parole. Ce n’est qu’à considérer l’effet de surprise et de vérité qui saisit le sujet lui-même, que l’on peut juger de la puissance de l’acte de parole. Même dans le registre de la parole, l’analyste doit se faire humble et rare.

Dès lors la question de l’interprétation se présente à deux niveaux : au niveau de l’être, là où l’effet de vérité fait hystoire[4] et au niveau de l’existence, là où la jouissance se cerne au plus près de chaque Un. « Interpréter, le mot ici défaille, et il faudrait lui en substituer un autre comme cerner, constater[5] ». À cet endroit les Analystes de l’École peuvent témoigner de ce double mouvement, effet de vérité dans l’hystoire, vérité toujours menteuse au regard de cette singularité du sinthome. Ils nous enseignent sur le moment créationniste de la parole, où le roman du blabla se condense dans un ou quelques noms et où le fantasme se réduit à une phrase, un signifiant. Il y a un au-delà, au-delà de l’effet obtenu par la puissance de la parole. Il s’agira plutôt de lire l’impact, la trace dans le corps, de la rencontre initiale du signifiant. Lire, ce n’est déjà plus « puissance de la parole », car lire est souvent silencieux, lire implique une écriture, trace dans le corps de la jouissance Une. Il y a donc à s’enseigner des AE, des conséquences de la puissance de la parole et au-delà, de l’indice du réel à cerner.

Le cartel implique le mouvement des corps et la puissance de la parole. C’est ce qui le distingue du travail du texte sous la lampe, dans la solitude. Quels effets ? Qu’est-ce qui se joue de la puissance de la parole quand le texte rencontre la voix qui dit et que d’autres corps en présence résonnent de cette expérience ? Quel usage de la parole faisons-nous à ce moment ? Faisons le pari de montrer combien le cartel, cette invention de Lacan, est subversive et pourquoi elle participe de la formation de l’analyste.

Nous vous attendons nombreux pour cette Question d’École, où le tranchant de notre pratique est toujours au rendez-vous, au rendez-vous de la psychanalyse lacanienne.

[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, L’Un-tout-seul », cours du 11 mai 2011, inédit.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Cf. Lacan., « La proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243-259.
[5] Miller J.-A., op. cit.