Exilés de Joyce : Une mise en scène du non rapport sexuel
Exilés de Joyce : Une mise en scène du non rapport sexuel[1]
Par Bernadette Colombel
Comment Joyce traite-t-il la question du non rapport sexuel ? Nous allons nous appuyer sur deux de ses œuvres : Lettres à Nora[2] et Exilés[3], une pièce de théâtre dont il est l’auteur.
Dans les lettres à Nora, Joyce ravale le corps de cette dernière à un objet sexuel dont il jouit. Il qualifie avec plaisir les zones corporelles de sa compagne de « grossières, sales[4]». Il oscille entre la considérer comme une « Madone » ou la traiter d’« impudique[5] ». Quand il écrit à Nora, il l’imagine en lien avec les fonctions physiologiques comme la défécation ou des positions sexualisées[6]. Il associe Nora à des gants : ils sont « presque aussi chauds que certaines régions [de ton corps][7] », lui écrit-il.
Cependant, le corps[8] de Nora n’est pas qu’un objet de jouissance sexualisé. Pour écrire, il lui faut le support de la présence réelle de sa compagne dans un miroir[9]. Lui allant « comme un gant » dit Lacan, Nora « serre » le corps de Joyce qui s’en trouve consolidé. Nora semble ainsi pallier la faiblesse de l’Ego de Joyce, cette part imaginaire du corps qui risque de tomber « comme une pelure[10]». Le corps de Nora lui est indispensable.
[4].
[1] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 464 : « Il n’y a pas de rapport sexuel n’implique pas qu’il n’y ait pas de rapport au sexe ».
[2] Joyce J., Lettres à Nora, Rivages-Poche, coll. Petite bibliothèque, 2012.
[3] Joyce J., Exilés, Paris, Gallimard, 1988. La pièce fut jouée pour la première fois à Munich en 1919.
[4] Joyce J., « Lettre du 9 décembre 1909 », Lettres à Nora, op. cit.
[5] Ibid., « Lettre du 2 septembre 1909 », p. 92.
[6] Ibid., « Lettre du 2 septembre 1909 », p. 129 et « Lettre du 20 décembre 1909 », p. 160.
[7] Arpin D., Gault J.-L., « L’épouse de Joyce », Édito de L’Hebdo-Blog, n o 154, 9 décembre 2018. En référence à la lettre de Joyce à Nora, en date du 1er novembre 1909, p. 117.
[8] Acte I, scène 1, vers 164.
[9] Arpin D., Couples célèbres. Liaisons inconscientes, Paris, Navarin éditeur, 2016, p. 133.
[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 84.
Ibid., p. 149.