Fantasmes comtemporains du corps – La journée
À l’époque où les rencontres humaines deviennent toujours plus virtuelles, le corps ne cesse pas moins de s’imposer, traversé par les discours et les symptômes qui le percutent. Objet de multiples avancées scientifiques, il se trouve investi de nouvelles représentations fantasmatiques qui semblent se concrétiser sans faille, ni reste. Pourtant, avoir un corps ne va pas de soi : tour à tour objet précieux et impossible à supporter, il peut être ignoré, refusé, maltraité, ou, au contraire, objet d’amour et de soins de plus en plus performants. C’est l’idéologie actuelle qui opère, à partir du discours de la science, sur la maîtrise et les fondements d’un nouveau savoir sur le corps.
Ainsi, à l’heure où donner la meilleure version de soi-même devient une injonction performative, se confirme que « le parlêtre adore son corps parce qu’il croit qu’il l’a », mais, comme le souligne Lacan, « sa seule consistance est mentale, car son corps fout le camp à tout instant 1 ». Face à ce corps qui lui échappe, le sujet fantasme qu’il peut jouir de son corps sans entraves, niant les limites de sa condition humaine.
Quels sont alors les fantasmes contemporains du corps, s’ils semblent depuis toujours se décliner en une phrase : Comme il serait beau de rester jeune, séduisant, en pleine santé, avec le sexe de son choix et immortel… ?
Aujourd’hui, la beauté, si elle reste un idéal féroce, trouve ses réponses dans les multiples programmes qui en vantent les bienfaits. La chirurgie esthétique répare les imperfections du corps qu’on a pour le corps qu’on veut, chacun s’imaginant être le maître de ce qu’il désire devant son miroir. La transidentité cristallise les multiples questions que pose le dégoût pour son sexe, voire son rejet, le transhumanisme fait miroiter la possibilité de « tuer la mort » et l’Intelligence Artificielle, en se passant du corps, mise sur la toute-puissance des algorithmes. La fin de vie se fantasme apaisée grâce à la maîtrise de sa programmation. Ce sont là les effets du discours scientifique dont Descartes a initié le mouvement, fantasmant l’homme « comme maître et possesseur de la nature 2 » et la machine, capable de le singer.
Dès lors qu’ils paraissent aujourd’hui réalisables, via la science, peut-on encore parler de fantasmes ? Et si oui, en quoi celle-ci peut-elle prétendre les modifier en proposant, à chacun, d’obtenir le corps idéal dont il rêve et de s’en satisfaire ?
Lors de cette journée de travail, nous chercherons, avec nos invités, à cerner en quoi l’immixtion de ces fantasmes et de leurs potentielles réalisations nourrissent un débat passionné sur le désir, la sexuation, la jouissance de son corps propre et le choix de sa fin de vie. En écho, nous tenterons de saisir comment la présence de ces fantasmes, tels qu’ils surgissent dans le cours d’une analyse, parvient encore à voiler le réel d’un corps sans choix ni loi.
1.Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 66.
2.Descartes R., OEuvres philosophiques, t. i, « Le discours de la méthode », Paris, Garnier, p. 634.