L’interprétation comme réveil
L’interprétation comme réveil
Par Alexandra Escobar
Étymologiquement, le mot interprétation est dérivé du mot latin interpretatio. Inter, « ce qui se situe entre », pretare, « ce qui est proche », et praesto, « ce qui est présent ». L’interprétation désigne l’action d’expliquer, de donner une signification (à une chose obscure). Ainsi, une interprétation renvoie à une lecture, mais pas n’importe laquelle ; elle renvoie à une lecture attentive, judicieuse et argumentée d’un texte. La lecture d’un texte convoque nécessairement l’avis du lecteur qui donne les impressions que la lecture suscite en lui. Les diverses interprétations d’un même fait renvoient à une version ; un énoncé, par exemple, peut recevoir plusieurs interprétations pouvant être ambiguës, équivoques.
Pour Freud, le rêve renseigne sur les désirs plus secrets du rêveur, refoulés dans son inconscient ; dès lors, comment comprendre la phrase de Lacan selon laquelle interpréter peut constituer « la voie d’un vrai réveil pour le sujet »[1] ? Jacques-Alain Miller nous indique dans son texte « L’interprétation à l’envers »[2] la façon dont Lacan opère un renversement de l’interprétation à l’envers de la lecture freudienne de l’inconscient.
Si l’interprétation analytique se fonde sur l’interprétation de l’inconscient, elle ne s’accommode pas pour autant de celle-ci. J.-A. Miller nous met en garde quant à l’erreur de croire que c’est l’inconscient de l’analyste qui interprète. Dans son séminaire Les Psychoses, Lacan souligne que « l’analyste doit attendre ce que le sujet lui fournira, avant de faire entrer en jeu son interprétation »[3]. « Son interprétation » n’est pas celle de l’inconscient et des idées que l’analyste se fait par rapport aux dits du patient mais elle est celle de l’inconscient lui-même, des signifiants élémentaires « sur lesquels, il a, dans sa névrose, déliré »[4].
L’interprétation analytique est seconde à l’interprétation de l’inconscient et vise à « apprendre à parler comme l’inconscient »[5], selon l’expression employée par J.-A. Miller. Il ne s’agit pas pour autant, ajoute-t-il, que l’interprétation se fasse « l’émule de l’inconscient »[6], car cela, au lieu d’affamer le délire, le nourrit. L’envers de l’interprétation « consiste à cerner le signifiant comme phénomène élémentaire du sujet ». En ce sens, le déchiffrage est « un déchiffrage qui ne donne pas sens ». Cette pratique opère sur la « coupure » analytique. Ainsi l’interprétation analytique fonctionne « à l’envers de l’inconscient »[7].
Pour conclure, nous pourrions dire que l’interprétation, au sens lacanien, réveille le sujet de la lecture de l’inconscient et le surprend à la manière d’une perplexité qui touche le phénomène élémentaire du sujet dans lalangue.
[1]. Lacan J., « Compte rendu avec interpolations du Séminaire de l’Éthique », Ornicar ?, janvier 1984, n° 28, p. 17.
[2]. Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, no 32, février 1996, p. 11.
[3]. Lacan J., Le Séminaire, livre iii, Les Psychoses (1955-1956), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 93.
[4]. Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », op.cit., p. 12.
[5]. Ibid., p. 10.
[6]. Ibid., p. 12.
[7]. Ibid.