Coby, un film de Christian Sonderegger

 

 

« Ceci n’est pas un documentaire » par Thérèse Petitpierre (1)

Si l’on peut emprunter à Magritte la forme du sous-titre de cet article, c’est bien parce que Christian Sonderegger lui-même nous y conduit, il le confirme même dans un entretien donné au distributeur Épicentre : « Le documentaire n’est pas mon genre de prédilection. J’en produis mais, en tant que réalisateur, j’ai besoin de passer par la fiction qui est pour moi une métaphore du réel et une digestion de la réalité. […] Quand Coby, mon demi-frère, a amorcé sa transition en 2010, il m’a demandé de faire un film sur cette période de sa vie. […] Je redoutais ce cinéma du réel qui consistait à suivre quelqu’un, à filmer toutes ces étapes plus ou moins dramatiques. Donc j’ai décliné la proposition. Et puis cinq ans plus tard, après avoir suivi de loin son évolution – puisque je vis en France et lui aux États-Unis –, après avoir vu ce qui se passait, les répercussions sur le cercle familial, j’ai eu la sensation de pouvoir justement arriver à la fiction. J’avais enfin cette digestion dont je parlais précédemment. Du coup c’est moi qui ai initié le projet. » (2)

C’est une fiction qui nous est donnée à voir et à entendre, Coby est un personnage dont le choix, la décision d’entrer dans un processus de transition de genre entraîne un bouleversement dans les relations avec son entourage familial, amoureux, professionnel et social. Il y a un avant et un après. Mais pas sans restes.

Une fiction également au sens où la vérité a valeur de fiction, qu’elle ne peut que se mi-dire puisque tout le réel n’est pas symbolisable. Mais du fait du désir de transmission de Coby – et aussi de garder des « archives » de son expérience –, du fait également que le réalisateur a un lien extime avec cette famille américaine car il est le demi-frère de Coby, ils ont leur mère en partage, en héritage pourrait-on dire, et que la parole compte pour lui (cf. le propos que lui renvoie sa mère « Christian, les Français… »),  la position du sujet Jacob, alias Jake, alias Coby dans son désir de bien dire est au premier plan.

D’abord par le biais de vidéos qu’il envoie sur youtube, s’adressant d’abord à la communauté des transgenres, ou potentiellement transgenres, à la fois pour transmettre son expérience mais aussi pour interpeller, poser des questions sur ce qui lui arrive, qui le surprend. Il est accompagné dans cette démarche, comme il l’est tout au long du  processus de transition de genre qui le conduit jusqu’à l’ablation de son utérus, par sa compagne Sarah qui supplée à sa parole quand il ne sait pas « comment dire ».

Comment ? C’est bien la question qui parcourt le film, ou que le film soutient : comment cela se passe-t-il pour Coby et son entourage, quels effets sur lui-même et sur les autres ? Le « pourquoi ? » ne le concerne pas, en tout cas il n’apparaît pas dans son discours et il concerne davantage ses parents qui y répondent, tentent d’y répondre, chacun d’une manière singulièrement différente.

Mais revenons au bien dire et regardons deux séquences à des temps éloignés l’un de l’autre dans le  parcours de Coby. Dans la première, au moment de l’ablation chirurgicale de ses seins, Coby s’efforce de dire ce que cette opération constitue, représente : un moment de séparation, de perte de ces attributs féminins qui font partie de lui-même, s’inscrivent dans  sa relation à sa compagne. Il ne veut cependant plus les voir, les avoir. Il décide, le chirurgien « tranche ».

La seconde se situe à la fin du film : Coby converse avec ses collègues de travail, deux femmes, un homme est en arrière-plan, parfois  hors champ mais présent. Il s’efforce de témoigner de ce qu’il vit, en particulier avec elles : il est un homme, il a un corps d’homme, une identité d’homme et, subjectivement, une plus grande proximité avec les femmes, ce qu’il résume ainsi : « j’ai vécu vingt et un ans du côté féminin, je ne suis un homme que depuis cinq ans. »

Coby nous enseigne, il vient faire résonner en nous de nombreuses questions quant à la différence sexuelle, ce qui pourrait définir « le masculin » et « le féminin, le hiatus entre l’image dans le miroir, l’assignation de genre et l’intériorité subjective, les identifications et le fantasme.

Nous ne manquerons pas d’attirer l’attention sur la toute fin du film : le générique défile, il est entrecoupé d’extraits de vidéos qui ont scandé le film – de la même façon que les photographies  de Coby/Suzanna  enfant et adolescente –, alors nous entendons la voix de Coby et ses changements de tessiture et  d’amplitude.

(1) Projection suivie d’une conversation> avec Coby, Cristian Sonderegger, François Ansermet, Nouria Gründler et Agnès Condat le 29 mars 2018.
(2) Dossier de presse : entretien avec C.Sonderegger>