Du fantasme au corps trans-biologique

Du fantasme au corps trans-biologique

par René FIORI

Quarante six entretiens, en trois langues : français, italien, allemand, portant sur autant d’hommes que de femmes transgenres, tous suisses, réalisés par Lynn Bertholet. Elle-même se présente ainsi : « En octobre 2015, Lynn devient la première femme trans* genevoise reconnue comme telle sans opération préalable. Le 22 mai 2017, la Cour de Justice de Genève (Chambre des assurances sociales) lui donne raison contre sa caisse-maladie et contraint cette dernière à prendre en charge sa chirurgie faciale. » [1] Recueillis dans un livre passionnant à l’esthétique soignée, ponctué de superbes photos, ces personnes transgenres répondent posément à toutes les questions qui leur sont posées à propos de la voie de la transidentité qu’ils ont choisie.

« Quand avez-vous consciemment ressenti le désir de vivre comme une fille ? » ; « Peut-on un jour avoir une relation avec un homme ? » ; « Une de vos plus belles expériences dans votre nouveau corps ? » ; « Comment votre famille a t-elle accepté votre identité trans ? » ; « Quel a été l’élément déclencheur qui vous a décidé à faire cette transition ? » ; « Qu’est ce qui vous dit que la décision était la bonne  ? » ; « Comment gérer un processus de transition dans une relation existante ? » ; « Quand avez-vous réalisé que quelque chose n’allait pas dans votre corps ? » ; « Vous souvenez-vous d’être né dans le mauvais corps lorsque vous étiez enfant ? » ; « Comment avez-vous vécu votre puberté, par exemple lorsque l’amour est devenu un problème ? »

Gil Caroz quant à lui introduit ainsi le recueil La solution trans : « L’heure est à la transition, il s’agit de “se réaliser soi-même”, par l’expérimentation illimitée des combinaisons que le signifiant et la science rendent possibles » [2]. Ce sont six personnes ayant rencontré un psychanalyste, avec leurs interrogations et leur certitude sur la transidentité. Katty Langelez-Stevens conclue : « Je suis étonnée, parmi les cas de psychoses qui nous sont présentés, du nombre de réussites de cette transformation de genre, qui fait solution pour le sujet, produit un traitement pour la jouissance en trop et permet de nouer un nouveau nouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire. » [3]

 

Certitude

Du livre de Lynn Bertholet, où la certitude traverse tous les entretiens, un trait d’époque est saisissable : la mise en question du corps biologique entendu comme corps naturel. On parle de manière détachée du corps biologique – quand chacun prête une grande attention à son corps identitaire et à son corps esthétique – et pour certains, le recours aux actes chirurgicaux permet le détachement dudit « mauvais corps ».

Dans le même temps, la technologie et ses applications nous confisquent tout autant le rapport à notre corps, en prenant en charge des actions motrices de plus en plus nombreuses. Autre variante, la vogue des poupées et des robots sexuels au Japon [4], où le corps débiologisé, bouleverse « ce qui est constitutif de l’expérience humaine » soit « l’attachement à un corps » [5], via l’imaginaire.

 

Détachement

Le terme de « détachement » est relevé par J.-A Miller commentant Lacan, à partir de l’œuvre de James Joyce [6] d’où est inféré le fait d’ « avoir rapport à son propre corps comme étranger » [7], quand « le rapport imaginaire n’a pas lieu » [8]. « Chez Joyce, il n’y a que quelque chose qui ne demande qu’à s’en aller, qu’à lâcher comme une pelure […] à savoir le détachement de quelque chose comme une pelure » [9].

Ce détachement du transgenre, quant au corps biologique, est mise en œuvre imaginaire : auto-identification, avec ou sans transvestisme, symbolique avec changement d’identité, réel via une chirurgie esthétique ou une transition partielle ou intégrale, où le transexuel, ici coefficienté par la science, manifeste « son désir très énergique de passer par tous les moyens à l’autre sexe » [10].

 

Trans-humant

Dans « Radiophonie », Lacan formule : « Si paradoxale qu’en soit l’assertion, la science prend ses élans du discours de l’hystérique. Il faudrait pénétrer de ce biais les corrélats d’une subversion sexuelle à l’échelle sociale, avec les moments incipients dans l’histoire de la science » [11]. Le moment technologique, sous le nom de cybernétique [12] est lui contemporain de celui du transsexualisme [13], et les deux se corrèlent aujourd’hui dans le dévoilement du trans-fini de la science. Le répartitoire Réel, Symbolique, ou Imaginaire du détachement, tel que proposé ici, laisse cependant intacte pour chacun la question de la « jouissance transexualiste » [14]. Celle-ci ne pouvant se décliner qu’au un par un des sujets, et selon sa « pratique transexualiste » [15].

L’homme s’affranchit ainsi du monde clos de son corps, pour paraphraser Koyré, pour se projeter dans un trans-fini [16], dans un au-delà de la finition, de la finitude naturelle de ce corps. C’est ce que pointe Lacan avec le terme de trans-humant [17] dont, dit-il, l’humanité n’est que « prétendue », et ne tient qu’à une « humanité de transit ».

[1] Bertholet L., TRANS*, Lausanne, éd. Till Schaap, 2019.

[2] Caroz G., « Avant propos », La solution trans, sous la direction de J.-A Miller, Paris, Navarin, novembre 2022.

[3] Langelez-Stevens K., Ibid., p.182.

[4] Giard A., Un désir d’humain – Les love doll au Japon, Paris, Les belles lettres, 2016.

[5] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Pièces détachées » (2004-2005), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 1er décembre 2004, inédit. https://docs.google.com/document/d/1kvrcO2L-wS74nlwghnUt_JCts4ckrAS9X7_rx7eRtjs/edit.

[6] Joyce J., Portrait de l’artiste en jeune homme, édition Jacques Aubert, Paris, Gallimard, 1992, p. 138-140 & 228.

[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 150.

[8] Ibid., p. 151.

[9] Ibid., p. 149.

[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 31.

[11] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 436.

[12] Wiener N., God & Golem inc. : sur quelques points de collision entre cybernétique et religion, Paris, L’éclat, 2001.

[13] Stoller R-J., The  transexual experiment, vol. II, New york, 1975, p. 255.

[14] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 571.

[15] Ibid., p. 568.

[16] Charraud N., « Cantor et Lacan », La Cause freudienne, n° 40, janvier 1999, p. 139. « La science […] un désir de savoir qui cherche à dépasser chaque limite, ce qui en fait un désir transfini ».

[17] Lacan J., Le Séminaire, « R.S.I », leçon du 8 avril 1975. « Trans-humant » : « sa prétendue humanité ne tenant qu’à une naturalité de transit ».

 

Pour qu’advienne la parole de l’enfant. Ce que nous enseigne “La Nuit du Chasseur de Charles Laughton”.

Pour qu’advienne la parole de l’enfant. Ce que nous enseigne “La Nuit du Chasseur de Charles Laughton”.

par Baptiste Jacomino

John se tait. Il a juré à son père qu’il ne trahirait pas son secret. Avec sa sœur, il fuit en silence sur une petite barque le long du fleuve noir, jusqu’à ce qu’un matin, Rachel Cooper les réveille et les recueille. 

Le soir, elle raconte des récits bibliques aux enfants. John se reconnaît dans la figure de Moïse livré au hasard du fleuve. Il se met à parler en se soutenant de cette Parole. Il y trouve de quoi relire sa propre histoire. 

En recourant au récit, Rachel prend le contre-pied du faux prophète qui poursuit les enfants. Lui cherchait à faire cracher le morceau à John. Rachel lui permet de parler en ne le lui demandant pas. Le mythe biblique est un mi-dire qui permet à l’enfant de sortir de l’alternative dans laquelle il est enfermé : tout dire ou ne rien dire. 

Rachel raconte l’enfance de Moïse dans la posture de ma mère L’Oye : assise sur une chaise et entourée d’enfants. Ce n’est là qu’un conte, semble-t-on nous dire. Sans doute est-ce ce qui autorise à y apporter si aisément des changements. Quand John dit à Rachel qu’il y a deux rois dans l’histoire, elle commence par le corriger, mais elle cède rapidement : oui, c’est vrai, il y en a deux. « Ne pas errer, dit Alexandre Stevens, c’est accepter de se faire dupe de semblants. […] Ce qu’il s’agit d’obtenir chez les enfants décrochés de l’Autre et de ses semblants, ce n’est pas qu’ils rentrent dans le rang, qu’ils obéissent à la règle, qu’ils se soumettent à la loi, c’est qu’ils commencent à se faire dupe de l’un ou l’autre semblant. C’est par cette douceur qu’il s’agit de procéder : les introduire au semblant. » 1 L’histoire de la Bible que Rachel conte est de cet ordre-là : une opération de raccrochage aux semblants après une si longue errance sur le fleuve noir. 

« Rencontrer un Autre qui le croit sur son trauma est un évènement dans la vie d’un sujet, écrit Clotilde Leguil. Un évènement qui peut tout changer. Car, enfin, une porte s’ouvre où il peut dire sans être jugé sur la conformité de ses dires avec la réalité, mais en étant accueilli depuis la vérité que sa parole tente d’articuler, la vérité de ce qui s’est produit pour lui, et pour lui seul. » 2 John n’a pas été cru. Sa mère, sous l’emprise du faux prêcheur, ne l’entendait pas. Avec Rachel, il rencontre enfin quelqu’un qui le croit, au sens où l’attention qu’elle lui porte vise à favoriser sa parole et à accueillir la vérité qui convient, « pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas » 3.

Rachel ne se contente pas d’écouter, de croire et de raconter. Elle fouette. Rien qui fasse mal aux enfants. Mais il n’en reste pas moins que, quand elle les découvre endormis dans une barque, comme ils ne veulent pas la suivre, elle arrache quelques tiges pour s’en faire une badine et elle fouette John et Pearl pour qu’ils avancent. John a été bercé jusqu’au sommeil par le cours de la rivière, par le chant répétitif et lointain du prêcheur et par le monde aux allures oniriques au sein duquel il voguait. Autour de lui, les siens dormaient. Rachel interrompt le cours de cette jouissance par une nouvelle jouissance, inattendue, un peu violente. À la manière de la scansion, dont Lacan dit qu’« elle ne brise le discours que pour accoucher la parole » 4, Rachel brise le cours du discours du prêcheur, le cours de son chant et le cours de l’eau pour accoucher la parole de John. 

C’est une condition nécessaire, quoique non suffisante, pour qu’advienne une parole du sujet et non une parole sous hypnose, un discours de somnambule. Tandis que le faux prêcheur hypnotise les foules par ses récits épiques, ses prêches enthousiastes et ses chants envoûtants, Rachel évite toute séduction par un abord sec et légèrement brutal. C’est la sécurité dont John a besoin pour parler : être délivré de toute tentative de suggestion, d’emprise, de mainmise. Aux mains toujours trop proches du faux prêcheur succèdent les mains frêles de Rachel, tenues à distance par les longs instruments qu’elle saisit : une tige ou un fusil. 

À l’heure où la parole de l’enfant est souvent traitée comme une ressource infiniment disponible qu’il suffirait de laisser jaillir, La Nuit du Chasseur nous enseigne qu’il faut parfois permettre à cette parole d’advenir par les détours paradoxaux du silence, du mi-dire ou de l’interruption. 



1. Stevens A., « Un cadre ou un bord ? », La petite Girafe, n°5, 2019, p. 150.
2. Leguil C., Céder n’est pas consentir, Paris, PUF, 2021, p. 142-143.
3. Lacan J., « Télévision » (1973), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 8.
4. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 316.

Se libérer d’une jouissance imposée.

Se libérer d’une jouissance imposée.

par Marie-Christine Baillehache

Dans son autofiction Fille, Camille Laurens aborde l’agression sexuelle infligée par son grand-oncle, lorsqu’elle a 9 ans et qu’elle passe ses premières vacances d’été dans la ferme familiale. Son récit écrit à la troisième personne lui offre une distance nécessaire à voiler l’obscénité de l’acte transgressif subi. « C’est à une autre que les choses arrivent, sinon je ne peux pas. » 1 Tout en lui soufflant dans l’oreille « Toutes les filles aiment ça », l’oncle Félix « la tient d’une main serrée sur la nuque comme Thérèse quand elle dépouille un lapin […], elle sent sur son dos le couteau qu’a Thérèse pour dépecer les lapins […], son cœur bat comme celui du lapin avant de mourir. » 2 Cette première mise en jeu violente de son corps féminin sexué se répétera une seconde et ultime fois sous le regard muet de sa tante et de son oncle Roger. « Ils la jugent mal, elle le voit bien. » 3 Pétrifiée, désorientée, submergée par la honte, elle ne se sent plus être qu’ « une poupée molle assise sur un banc » 4. Son corps féminin vient de faire son entrée sur la scène du monde conjoint à sa réduction à être un objet de jouissance sous la mainmise d’un homme. Dessaisie de son être et de son corps féminins, elle veut disparaitre, toute entière. « S’évanouir, c’est ça qui la sauverait. » 5 Pour contrer en elle-même le trop de présence de la jouissance de l’Autre et se sauver du désarroi où il l’a précipitée, Camille se tourne vers l’Autre de son enfance à qui parler. « Un matin, elle entre dans la chambre de sa grand-mère et lui raconte tout. » 6 Cet appel au désir de l’Autre du monde de son enfance qui fait sa place à l’amour et à la parole, l’aide à se délester d’une part du poids de ce réel qui vient de laisser en elle une trace muette, énigmatique et ineffaçable de « sang vert » 7. Mais, son premier effort pour dire l’indicible rencontre la réponse sans appel de son Autre. « Ce que tu viens de me dire, surtout ne le répète jamais. » 8 Désormais, c’est au monde solidaire et exclusif des femmes de la famille de parler à sa place de ce qui lui est arrivé, de s’en émouvoir, d’en délibérer et d’agir, sans elle. « On dirait que c’est arrivé à la famille, que c’est un truc embêtant pour la famille, pas à elle, pas pour elle. » 9 À peine Camille commençait-elle à nommer le vide ouvert en elle par le trop de présence de la jouissance muette de l’Autre, que le désir de l’Autre efface la présence de son dire. Désormais, ce qui reste pour elle un hors-sens qu’elle cherche à serrer, cerner, border avec ses propres représentations endosse les contours des mots et du désir de l’Autre : « tripotage », « la totale », « on lave le linge salle en famille », « motus et bouche cousue », « éviter le tonton ». Les femmes de sa famille réunies dans « un conseil de filles » 10 dont son père est absent, en ont décidé ainsi : les femmes n’opposent pas leur parole de refus à la domination jouissante des hommes sur leur corps. Face à ce complot du silence qui efface sa présence, Camille prend sa décision : « impénétrable, voilà ce qu’elle va être » 11. Désormais, c’est dans le secret de ses fantasmes et de ses rêves qu’elle représente l’effraction de la jouissance transgressive qui a laissé dans son corps une modalité de jouissance qui met son désir en danger : « Et ça ne rate jamais, pour peu qu’elle fasse revenir l’image, le plan fixe, la bouche bâillonnée par la culotte, le défilé des regards, il y a toujours un moment où ça monte, ça vient, ça explose […] ce plaisir intense qui se renouvelle à volonté […]. Elle serait donc unique, comme fille ? » 12

C’est avec son écriture littéraire et sa propre cure analytique que Camille Laurens est parvenue à se libérer de la marque traumatique qui emprisonnait son corps féminin sexué dans une certaine modalité de jouissance. Son effort d’écrire et de bien dire lui ont permis de ne pas « s’évanouir » et de se sauver de ce qui était resté en elle comme une trace de « sang vert ».



1. Camille Laurens, Fille, Paris, Gallimard, éd. Quarto, 2023, p. 792.
2. Ibid., p. 793.
3. Ibid., p. 794.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Ibid., p. 795.
7. Ibid.
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Ibid.
11. Ibid., p. 798.
12. Ibid., p. 803-804.

Logique du pire, ou la confrontation avec le réel

Logique du pire, ou la confrontation avec le réel

par Alexandra Fehlauer

Le Théâtre de la Bastille présentait du 4 au 14 octobre 2017 la pièce « La logique du pire », inspirée par un essai du philosophe Clément Rosset et mis en scène par le canadien Etienne Lepage.

Le texte, écrit par le metteur en scène lui-même, très rythmé, scandé, comprend une dizaine de scènes courtes pour cinq personnages. Nous ne savons rien de ces jeunes hommes et femmes, nous les découvrons, en quelque sorte, en pleine action : de masturbation, d’agression violente ou de prise de conscience de ne pas être « quelqu’un de bien ». Le discours est désaffecté, les mots sont crus, le langage frappe. Nous sommes confrontés à la solitude immense des personnages, à la déconstruction de leurs idéaux, sans que la moindre recherche de sens viennent border la Chose.

Alors que le texte à la lecture laissait entendre un pessimisme, voir un certain nihilisme nietzschéen, la présence des corps et la vitalité du jeu des comédiens faisait apparaître quelque chose d’autre : un aspect jubilatoire, presque joyeux. Etienne Lepage, qui a réussi à opérer ce tour de force, dit avoir cherché à « installer un langage qui n’allait pas être des mots, mais un choix de mouvements qui prolongerait l’écriture, plus même l’incarnerait ». Lors d’une première phase d’écriture, il s’agit à chaque fois pour lui de trouver des idées, des concepts théoriques. Il s’inspire pour ce faire de philosophes comme Nietzsche ou Rosset. Puis, le texte doit « prendre du souffle », trouver sa musicalité. Pendant cette phase, les répétitions avec les comédiens commencent et un dialogue entre le texte et les mouvements s’installe. La collaboration avec le chorégraphe Frederic Gravel a ainsi apporté aux déplacements et gestes des comédiens une très grande précisions, permettant de donner à voir, plutôt que d’expliquer. Ce langage corporel, au plus près du réel, met en exergue ce qui est en nous « humain, trop humain » – c’est-à-dire notre jouissance, toujours en excès.

Alors que les personnages de la pièce restent, malgré la proposition d’Etienne Lepage d’un traitement par le corps, sans véritable réponse face au réel (« Tire-toi en courant ! » ; « Ne faudrait-il pas tout arrêter ? »), le texte de présentation de la pièce émet une hypothèse intéressante. On peut y lire que la confrontation avec le réel auquel on a affaire permettrait de le « déminer ». Me venait alors à l’esprit l’intervention de M. H. Brousse au 40e Journées de l’ECF en 2010. Elle y a comparé le processus analytique avec une activité de déminage. Il s’agirait, selon elle, de repérer dans le fil de la chaîne signifiante les « détonateurs », c’est-à-dire les signifiants et objets comportant une charge « explosive » pour le sujet.

Est-ce que, donc, le fait de se confronter au réel, à ses points de jouissance, permet de les déminer, de les rendre inoffensifs comme le texte de la présentation le suggère ? La psychanalyse lacanienne ne le promet pas. Les bombes existent et continueront d’exister, mais un long parcours analytique peut permettre au sujet de les localiser, afin de les contourner.

On aurait presque envie de suggérer une telle solution aux personnages, très touchants, de la « Logique du pire ».