Compte rendu de la réunion du Vecteur Psychanalyse et littérature du 6 Février :
Durant cette Année 2018, le Vecteur Psychanalyse et littérature orientera son travail avec la phrase de Lacan : « l’expérience du fantasme est intimement tissée à l’œuvre. Dés lors, il devient possible que celle-ci exprime cette dimension, le réel du sujet, qui est l’avènement de l’être au-delà de toute réalisation subjective possible, »[1]. Chaque membre du Vecteur cherchera à dégager dans la structure de l’œuvre littéraire de son choix, la formule lacanienne du fantasme : S/ poinçon (a).
Bernadette Colombelle a choisi le roman de David Foenkinos « Charlotte » (prix Renaudot 2014) sur la vie de Charlotte Salomon, cette artiste juive allemande peintre et écrivain d’un seul roman graphique « De vie ? et théâtre ? » et qui connut une succession de drames familiaux et historiques, avant de mourir dans le camp de concentration d’Auschwitz. Le roman de D. foenkinos se situe en Allemagne, durant la montée du Nazisme, puis dans le sud de la France pendant l’occupation allemande où Charlotte trouve un refuge chez ses grands-parents maternels. En phrases courtes renvoyées chacune à la ligne comme dans un poème, le roman met en jeu la mort menaçante et réelle et la réponse que le sujet Charlotte y apporte. Sur fond d’extermination juive, de suicides familiaux et de paroles mortifères, la vie parvient à se manifester en prenant appui sur la peinture, l’écriture, la musique et l’amour. Dans l’œuvre artistique de Charlotte Salomon, le silence est central et se décline selon les trois modalités du Non-dit du pas-dit et de l’impossible à dire. Ces trois occurrences du silence structurent l’écriture du roman « Charlotte » de David Foenkinos. Les blancs ménagés entre chaque phrase font toute sa place à l’énigme de l’innomé et interrogent le poids de chacune des modalités de ce silence. Nous poursuivrons l’étude de ce silence où la pulsion de mort et la pulsion de vie s’intriquent afin de dégager précisément dans la structure du roman de D. Foenkinos le rapport du sujet au signifiant et le rapport de ce sujet parlant divisé avec l’objet pulsionnel silencieux.
Alexandre Pécastaing a choisi le roman de Christine Angot L’inceste pour dégager, dans la structure même de roman, la mise au jour du fantasme an tant que tel, sans rien révéler du fantasme de son auteur. Ce roman, publié en 1999, C. Angot le construit en deux parties très distinctes tant par leurs contenus que par leurs styles. Dans sa première partie, la narratrice, que C. Angot nomme C. Angot engageant d’entrée de jeu son lecteur à approcher la vérité par la fiction, rompt avec un lien homosexuel amoureux dont les enjeux imaginaires ravageants ne lui conviennent plus. Agencée autour d’une fête de Noel conçue comme un moment de déclic décisif, cette rupture débouche sur l’engagement de la narratrice C. Angot dans l’écriture littéraire. Commence alors la deuxième partie du roman, où la narratrice raconte l’inceste qu’elle a subi de la part de son père, de ses 14ans à ses 16 ans. Le style fait de phrases courtes, sans paragraphe et de conversations pèles-mêles de la première partie fait alors toute sa place à un une écriture analytique où chaque mot compte. Le rapport dominé par l’imaginaire de la première partie passe au rapport de confrontation du sujet parlant au symbolique qui le divise. Dans cette deuxième partie, les nombreuses références à la psychanalyse et à la poésie de René Char renvoient le lecteur, au-delà de l’événement, aux mots « que l’ont montre, qui se voient et remuent », aux mots « dont la stabilité de la grammaire permet que la vie sorte du désordre pour entrer dans le champ poétique », comme le déclare elle-même C. Angot dans une conversation avec L. Adler du 18 Avril 2013. Avec ce roman L’inceste, C. Angot passe de la transgression de l’interdit par le père incestueux à l’inter-dit entre l’écrivain et son lecteur et passe de l’Autre qui met le sujet dans l’impossibilité de penser à l’écrivain dont la parole vraie « permet que ce qui n’est pas sujet de conversation soit su sans être dit. » Nous chercherons à démontrer comment dans ce roman, qui passe du désordre imaginaire de la relation amoureuse à l’ordonnancement symbolique d’un réel violent, C. Angot met au jour les trois temps du fantasme tels que Lacan les a repris à la suite de Freud.
Marie-Christine Baillehache.
[1] J.Lacan, Séminaire VI « Le désir et son interprétation », 1958-1959, Ed. de La Martinière, 2013, p. 474.