Soirée du 6 février au Théâtre de l’Aquarium
Psychose-Sarah Kan-3

Jouir du péril

Rencontre avec Sara Llorca, actrice et metteur en scène avec Charles Vitez de 4.48 Psychose de Sarah Kane au théâtre de l’Aquarium du mardi 2 au dimanche 21 février 2016.

Soirée exceptionnelle avec l’Envers de Paris le samedi 6 février avec un débat avec Sara Llorca et François Leguil à l’issue de la représentation.

Philippe Benichou : Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Sara Llorca : Je suis actrice et metteur en scène et il s’est fait en plusieurs temps, jalonné de rencontres. Je suis enfant de la balle, j’ai vécu petite dans des théâtres, mon père Denis Llorca a été directeur d’un théâtre pendant neuf ans et j’ai vu le théâtre sur le plan pragmatique, la rencontre de personnes d’origines différentes, rassemblées autour d’un metteur en scène. Après j’ai fait le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en tant qu’actrice et j’ai monté des pièces, pour le plaisir de me confronter au public, au texte poétique et petit à petit, j’ai affiné un désir profond de faire les choses à ma manière, à partir d’une œuvre qui n’a pas été pensée pour moi et que je lis avec sensibilité. Aujourd’hui j’ai défini une méthode de travail qui caractérise mon univers artistique et qui s’appuie sur la rencontre avec d’autres artistes, chorégraphes, musiciens, peintres, un architecte qui me suit depuis presque dix ans. Mon but est d’aller toujours plus loin dans ce qu’on appelle le spectacle vivant, cette chose étrange, qui est pour moi ce qui est imprévu, au bord de s’effondrer, qui risque de s’effondrer au cours du spectacle. Avec une interrogation de la normalité, de la folie, de la frontière, de la limite. C’est être dans ce péril de jouer et en même temps dans la réflexion sur la pensée qui sous-tend une œuvre écrite.

PB : Ce péril, comment l’avez-vous trouvé, ce désir du péril ?

SL : C’est beaucoup de hasard. Ma compagnie s’appelle le Hasard objectif. J’en ai découvert la formulation en travaillant en équipe sur la pièce de Brecht « Tambours dans la nuit » et en rencontrant le surréalisme, le dadaïsme et cette invention d’André Breton. Notre méthode de travail est ce qui définit notre identité d’artiste. Cela se fait inconsciemment, c’est dans l’action que l’on découvre qui on est. Lui va plus loin, pour commencer un acte artistique, il dit qu’il faut se mettre dans un état de lâcher prise, inconséquent, innocent, et qui nous dépasse, qui dépasse le projet.

PB : L’intention consciente.

SL : Oui, partir de l’intuition pure et regarder ce qu’il évoque, le travailler dans un second temps. Ce concept de hasard objectif est très intéressant pour moi et j’ai développé un goût pour l’accident. J’essaye de le prolonger, pas de le comprendre, je veux en jouir. Ce pari sur l’accident a été très structurant, très édifiant pour moi. Il nous rassemble, public et acteurs autour d’un vide possible, d’un silence et c’est un moment que je trouve extrêmement vivant, sachant que mon but en tant qu’artiste est de faire honneur à la vie au sens le plus intense possible. Cette idée du péril me fait beaucoup de bien, et dans ce péril, il ne peut advenir que du bon, car nous pouvons nous y étonner nous-mêmes.

PB : Qu’est-ce qui vous oriente dans le choix des textes que vous avez choisi de monter ?

SL : D’une façon générale, je m’intéresse à ce qui nous rend fou, qui fait qu’on s’abandonne, qu’on cesse de résister, de bâtir. Par exemple, sur Tambours dans la nuit, le contexte est grave, celui de l’entre-deux guerres en Allemagne. Les soldats qui rentrent chez eux se sont battus et ont perdu. Ils n’ont plus le courage de reprendre la vie là où ils l’avaient laissée. Et ils se confrontent à ceux qui ne se sont pas battus et s’engagent dans un mouvement révolutionnaire. C’est le début de ma réflexion sur ce qui peut conduire à un désintérêt de la vie. Dans cette pièce, l’expérience de réels différents divise les personnages et dans cette division, il y a quelque chose de désespérant pour l’homme, la sensation de ne plus faire partie d’une société, et de ne plus avoir la force de croire, de réenchanter le monde. A partir de cette pièce, j’ai pris conscience de ma responsabilité en tant qu’artiste, au-delà de mon plaisir de jouer. Avec l’impression que le temps allait me manquer, qu’il fallait que je m’exprime de la façon la plus puissante possible, même en étant très humble sur mes capacités, que j’avais le devoir d’engager une petite société dans un questionnement, une réflexion. Comme si je prenais conscience que le théâtre ne pouvait rien résoudre, mais qu’il avait le pouvoir de poser des questions et de parvenir à bien les poser, au point que le public puisse entendre ces questions qu’on lui pose.

PB : Et quelles sont les questions que vous avez trouvées dans le texte de Sarah Kane ?

SL : Si je pouvais résumer en une question, je dirais « De quoi avez-vous peur ? ». C’est très fort dans son texte. Moi, j’ai eu peur de l’attraper, ce texte.

PB : Vous l’avez rencontré comment ?

SL : Je l’ai étudié à la fac de théâtre de Censier et puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Kane faisait partie des auteurs que nous expérimentions. Elle fait de l’humour, du théâtre, elle crée du jeu mais elle fait peur et c’est la question que j’adresse au public, ce qui peut lui faire peur dans ce texte, la question de la mort notamment et de ce qui nous anime.

PB : Chez Kane, c’est l’amour qui est mort. La succession des cinq pièces qu’elle nous a laissées l’illustre, avec un délitement particulier de l’Autre à qui elle s’adresse au fur et à mesure qu’elle écrit, jusqu’à l’insupportable de la douleur d’exister et qui ne lui laisse que la décision radicale de mort. Une des crises fondamentales dont elle a témoigné dans sa vie, c’est d’ailleurs la perte de croyance en Dieu.

SL : Ce qui est important, c’est qu’elle est sortie de sa simple expérience pour écrire, elle est allée interviewer des gens pour parler de la dépression. Cela va au-delà d’un simple témoignage, il y a une tentative de sortir de son expérience, pour l’observer de l’extérieur, peut-être pour l’apaiser. Cela, au service du théâtre.

PB : Oui, c’est un vrai travail d’écriture, d’une précision qui transmet de façon remarquable une expérience souvent énigmatique. De plus, elle respecte la structure du langage. C’est une œuvre. Nous attendons avec intérêt de voir comment vous avez mis en scène une telle parole.

SL : Il faut savoir que je travaille avec Charles Vitez comme scénographe, qui est quelqu’un qui a besoin de clarté et cela me demande une grande attention. De plus, pour ce spectacle, j’ai travaillé avec un chorégraphe congolais, DeLaVallet Bidiefono, qui n’a pas de rapport à la réflexion sur l’esprit, sur la psychanalyse, qui est propre à notre culture. Il a vécu la guerre civile et son expression passe par la transe, par le rapport au corps, par la musique, par le toucher. C’est très important que lui soit là, car Sarah Kane n’a pas trouvé de réponses auprès des psychiatres, et peut-être cherchait-elle cela, une recherche archaïque, de transe, incluant le corps. Dans la lecture je sentais ce rythme interne à la langue qui soigne peut-être ou produit un apaisement.

PB : Votre mise en scène inclurait donc le traitement de cette douleur que les psychiatres et les médicaments ne peuvent apaiser.

SL : Je crois. En tout cas je pose la question.

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