L’artiste toujours précède l’analyste (1)

Discussion avec Pascal Rambert, metteur en scène
« Cette activité de la parole qui nous fait tenir droit, c’est non négociable ! (2)
par Agnès Bailly

Le vecteur « Théâtre et psychanalyse » de l’Envers de Paris nous invitait au théâtre de l’Aquarium le 19 mai dernier pour la pièce « Reconstitution », mise en scène et scénographiée par Pascal Rambert. À l’issue de la représentation, P. Rambert et les deux comédiens, Vero Dahuron et Guy Delamotte, ont discuté avec Philippe Bénichou, Christiane Page et Laura Sokolowsky, invitée en tant que directrice des 48ème journées de l’ECF : « Gai, gai, marions-nous ! La sexualité et le mariage dans l’expérience psychanalytique ».

Pascal Rambert, lecteur de Lacan, nous a enseigné ce soir-là ; quelque chose est passé. D’emblée, le metteur en scène insiste sur le fait qu’il écrit « pour des corps précis ». Il cherche à « mettre de la parole dans des corps » – sa définition du parlêtre.

P. Rambert a choisi précisément pour cette pièce des acteurs en couple à la vie comme à la scène, « cette matière-là ». « Reconstitution », c’est l’histoire des corps d’une femme et d’un homme qui se sont aimés, ont eu un enfant et se sont quittés. Ils se retrouvent des années après leur séparation pour une tentative de reconstitution du moment de leur rencontre, dans ses moindres détails. Ensemble, ils vont manger « la soupe de leur histoire », faite de morceaux de photos et de larmes. Elle lui reproche de l’avoir abandonnée et exige qu’il « se souvienne de tout ». Lui se tait, « attaqué par tout un tas d’idées ». Il en convient, il a toujours été « un peu trop dans la théorie ». Ce à quoi elle lui rétorque : « on peut sans problème étudier et jouir ! » Elle attend qu’il la reconnaisse « par le corps » en la serrant trop ; jusqu’à faire le constat : « tout est faux, c’est fini, c’est impossible ».

Il s’agit pour P. Rambert de « reconstituer en phrases des prélèvements d’ADN, des prélèvements de peau énergétique » sans vouloir tout expliquer – pas tout ne peut se dire. « Il faut que le malentendu s’installe ». P. Rambert nous confiera qu’il lit Lacan comme Mallarmé ou Sade, « la beauté de cette langue-là » ; des lectures qui ont sur lui l’effet de « décapsuleur de l’inconscientpschitt ! » Il croit à la « puissance positive et néfaste de la parole sur le corps », comme la femme de sa pièce qui déclare un cancer du sein après avoir été quittée par son compagnon. Le malentendu serait que jusqu’au bout, elle s’évertue à s’adresser à son ex-compagnon dans un monologue à couper le souffle, alors qu’elle est morte. La pièce se termine ainsi : allongés côte à côte sur deux tables de dissection en inox, leurs corps mis à nu après leur tentative de reconstitution par la parole, il l’appelle par son prénom mais elle ne répond plus. Reste : « le cadavre de ce que nous fûmes ».

Pour P. Rambert, « C’est la parole qui nous fait tenir droit ». Elle ne peut « exister qu’à travers l’activité de cette parole-là ». « C’est non négociable ! Jusqu’à la mort ». On lit dans cette pièce le mariage de deux jouissances et sa vaine tentative de reconstitution avec les mots, un « jusqu’à ce que la mort nous sépare » propre au mariage. Sous une lumière crue et invariable d’une série de néons, P. Rambert nous a fait éprouver « la brutalité de la présence humaine » ; un face à face percutant inoubliable.

(1)« Le seul avantage qu’un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position […] c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière, l’artiste toujours le précède ». Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V. Stein », Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2001, p. 192.
(2) Pascal Ramber.