Vecteur Clinique et Addictions / TyA Barcelone 2018

Note sur l’intervention du Vecteur Clinique
et Addictions

Lors du Deuxième Colloque International du TyA (Toxicomania y Alcoolismo) : « Branchement et Débranchements dans les Toxicomanies et les Addictions », le 31 mars 2018, chaque groupe du réseau TyA  à travers le monde a été sollicité pour présenter un travail collectif lors d’une courte intervention. Le vecteur Clinique et Addictions du TyA-Grand Paris a répondu à cette sollicitation.

Ce vecteur se réunit une fois par mois, de septembre à juin, depuis presque cinq ans. C’est ainsi que sur une proposition de Pierre Sidon, et animés par l’enthousiasme suscité par notre intervention théâtrale à la journée de l’Envers de Paris du 10 juin 2017, quelques membres de notre vecteur ont décidé de travailler à nouveau autour d’une présentation TyAtrâle ! Ce mode de présentation permet de faire passer en peu de temps et de manière percutante plusieurs des réflexions qui animent les conversations depuis plusieurs années : qu’est-ce que l’addictologie ? Comment faire avec, ou autour ? Quelles incidences sur les patients, et surtout quelles sont les particularités de l’offre de parole de la psychanalyse ?

Pierre Sidon a donc écrit un dialogue qu’il a interprété avec Stéphanie Lavigne, Elisabetta Milan-Fournier et Coralie Haslé.  Mathilde Braun et Olivier Talayrach se sont occupés de la direction d’acteurs. Nos collègues hispanophones bénéficiaient d’une traduction simultanée à partir du texte de Mauricio Rugeles Schoonewolff et les lusophones lisaient un texte traduit projeté sur l’écran. Coralie Haslé

Un jeu des corps parlants

Pourquoi faire le choix de présenter le travail du TyA Paris sous une forme théâtrale, celle d’une pièce courte d’une dizaine de minutes ?

Au-delà de l’envie, initiée par Pierre Sidon, de rompre avec la traditionnelle lecture de textes clinico-théoriques se trouve sans doute la nécessité de mettre en jeu les corps parlants, au sens propre.

Le théâtre est le lieu de la monstration du parlêtre, soit un corps qui parle (l’acteur) du lieu de l’Autre (le texte).

Le corps, dans la clinique avec les sujets dits « addicts », est toujours en excès d’un trop, ou d’un pas assez de jouissance que le produit tente de réguler. Il est souvent abimé, meurtri, voire violenté par un Autre méchant, inquiétant ou absent.

Mettre en jeu les corps des cliniciens dans une production théâtrale, c’est-à-dire régulés par un texte, une mise en scène, une adresse à un public de petits autres, non sans une certaine jouissance, est une manière de faire part, en acte, du travail clinique avec les « addicts ». Notre façon de faire entendre que le clinicien, dans son acte, engage sa parole, donc son corps. Mathilde Braun


“Branchements et débranchements

dans les toxicomanies et les  addictions” 

 

Dès le début, l’élaboration du réseau TyA a pris comme point de départ l’indication de Jacques Lacan de 1975, qui définit la drogue comme « ce qui permet de rompre le mariage avec le petit pipi »(1). Cette indication nous a permis de penser la toxicomanie, notamment dans les névroses. Cette thèse dite « de rupture » introduit un premier moment dans notre élaboration.

C’est Jacques-Alain Miller qui a pris cette thèse comme boussole afin de nous orienter en ce qui concerne la jouissance toxicomane (2). Elle constitue la première version de la toxicomanie dans son orientation lacanienne, dont la référence majeure est le phallus.

Néanmoins, les références à la toxicomanie chez J.-A. Miller sont nombreuses. Ainsi, nous pouvons situer un deuxième moment dont la référence centrale n’est plus le phallus, mais l’objet a. La théorie du partenaire (3) nous conduit à une nouvelle version de la toxicomanie qui se présente comme une jouissance asexuée. Il s’agit de la toxicomanie comme “anti-amour”(4) “Le toxicomane se passe du partenaire sexuel et se concentre, se voue au partenaire a-sexué du plus-de-jouir“(5). Il ne s’agit plus du phallus, même si la rupture avec l’Autre de l’amour est sous-jacente. C’est la prééminence de l’objet a sur l’Idéal.

Dans un troisième moment de son élaboration, J.-A. Miller ne parle plus de toxicomanie, mais d’addiction. Il n’est plus question de phallus ni d’objet a, mais plutôt du sinthome du dernier enseignement de Lacan. Dans son cours “L’Être et l’Un”(6), J.-A. Miller revient sur cette question à partir de l’itération du symptôme et de l’addiction en tant que modèle du symptôme. Il s’agit d’un symptôme qui est séparé de l’Autre et vidé du sens. Bien que la notion d’addiction reste toujours un mode de séparation de l’Autre, dans ce troisième moment, nous sommes plus près des pratiques de consommation présentes dans les psychoses. Mais pas seulement.

En outre, il faut signaler que dans l’élaboration des inclassables et des psychoses ordinaires, la thèse dite de rupture fut mise en question. Cette thèse s’inscrit dans une clinique discontinuiste, dont la référence est la notion de phallus. Au contraire, une clinique continuiste, beaucoup plus élastique, nous permet de penser aux branchements et débranchements de l’Autre dans le champ des toxicomanies et des addictions. Ce dernier point nous a permis de commencer un travail sur la fonction de la drogue dans chaque cas, notamment dans les psychoses où nous trouvons certaines pratiques de consommation qui fonctionnent comme mode de branchement ou au contraire comme mode de débranchement, de l’Autre.

Nous sommes donc face à un nouveau défi : l´orientation lacanienne invite à lire les nouvelles pratiques de consommation en nous servant de ses trois moments d’élaboration, sans oublier les développements inédits nés de la clinique, qui toujours nous fraie la voie. Fabián Naparstek, Responsable du Réseau International TyA.

(1) Lacan J., « Clôture des Journées des cartels » (1975), Lettres de l’École freudienne de Paris, n° 18, avril 1976.
(2) Miller, J.-A.: “Para una investigación sobre el goce autoerótico”, in Sujeto, Goce y Modernidad, Buenos Aires, Atuel, 1993.
(3) Miller, J.-A.: “La théorie du partenaire”, Quarto, n° 77, Bruxelles, juilliet 2002, Miller, J.-A.: “El partenaire – síntoma” Los cursos psicoanalíticos de Jacques – Alain Miller. Barcelone, Paidós, 2008. Miller, J.-A.: “El síntoma charlatan”. Barcelone, Paidós, 1998.
(4) Op. Cit. Miller, J.-A.: “La théorie du partenaire”, p. 14.
(5) Ibid.
(6) Miller, J-A.: “L’Être et l’Un”, Les cours de Jacques-Alain Miller de la orientation lacanienne, 2011, inédit.