ÉDITO NOVEMBRE 2021

ÉDITO NOVEMBRE 2021

Chères et chers membres et ami(e)s de L’Envers de Paris,

L’Envers de Paris bouillonne d’activité dans ce dernier trimestre de l’année et reprend la presque totalité de ses réunions en présentiel respectant les mesures sanitaires en vigueur. Vous êtes invités à y participer !

Nous nous approchons des Journées de l’ECF, J51 qui auront lieu par visio-conférence les 20 et 21 novembre prochains sous le titre La Norme Mâle. Nous y interrogerons l’ordre patriarcal et la norme mâle dans ses effets et sa métamorphose. Les thèmes d’étude sont passionnants et concernent notre hyper et postmodernité. La journée de samedi sera l’occasion de présenter et converser sur de multiples cas cliniques. La plénière du dimanche se centrera sur les questions éthiques, épistémiques et politiques. Ces journées proposent un questionnement qui traverse notre clinique et le malaise civilisationnel par-delà les coordonnées dictées par la norme ou la normalité. Vous pouvez vous inscrire en cliquant sur ce lien>> 

La sublimation ? Sérieux ?! Tel sera le titre du numéro 66 d’Horizon, orchestré majestueusement par Stella Harrison, consacré au thème de la sublimation qui paraîtra fin novembre. Il s’agit d’un travail délicat, sur le concept de sublimation, introduit par un texte de Jacques-Alain Miller, que nous remercions. Nous avons en effet le plaisir de publier la leçon du 12 janvier 1983 du cours de l’orientation lacanienne : « Du symptôme au fantasme et retour ». Vous y trouverez aussi un texte inédit d’Éric Laurent, ainsi qu’un texte de Laurent Dupont que nous remercions tous deux également. Ce numéro témoigne des avancées les plus singulières et pressantes sur la question de la sublimation. Nous avons voulu dépoussiérer ce concept en le confrontant aux expériences de psychanalystes, d’écrivains, d’artistes, pour ré-éprouver son opérativité sous plusieurs angles. Nous avons mis aussi à contribution plusieurs des vecteurs de L’Envers de Paris, ainsi que d’autres collègues de notre champ.

 

Le Vecteur Psynéma de L’Envers de Paris a le plaisir de vous inviter à l’après-midi d’étude sur le thème d’étude de notre association : Épars désassortis, avec la projection du film Klute d’Alan J. Pakula. Le film sera projeté intégralement et suivi d’un débat animé par notre invitée Bénédicte Julien*, samedi 11 décembre, à 14h00 au Patronage Laïque Jules Vallés, 72 avenue Félix Faure, 75015 Paris. Entrée libre sur réservation au 01 40 60 86 00. Voici le lien>> pour vous y inscrire. Ou écrire à Marga Auré par mail>> ; ou à Karim Bordeau, par mail>> Le pass sanitaire sera exigé à l’entrée.

Le groupe Psynéma travaillera mors de leur réunion du 7 novembre sur « La préface à l’édition anglaise du Séminaire XI » et la leçon du 15 janvier 1974 du Séminaire XXI « Les non-dupes errent » afin cerner la question de l’inconscient réel.

Le collectif Théâtre et psychanalyse de L’Envers de Paris a eu le plaisir d’assister le 8 octobre au théâtre de la Bastille à la pièce Illusions perdues d’après Balzac, mise en scène par Pauline Bayle, avec cinq jeunes comédiens formidables qui se partageaient les rôles. Le spectacle a été suivi par un débat passionnant animé par Hélène de La Bouillerie, avec la jeune metteuse en scène Pauline Bayle (qui vient d’être nommée directrice du nouveau théâtre de Montreuil) et Déborah Gutterman-Jacquet*. La prochaine rencontre aura lieu le 20 novembre au théâtre de l’Odéon, autour d’une pièce de Marivaux, La seconde surprise de l’amour, mise en scène par Alain Françon. Marie Hélène Brousse* a accepté notre invitation de venir débattre avec le metteur en scène. Contact : Hélène de la Bouillerie, par mail>>

Voici les activités proposées par les différents groupes de L’Envers de Paris lors ce mois de novembre :

Le Seminario Latino de L’Envers de Paris prépare leur soirée de novembre autour de la thématique de travail de l’année 2021/2022 : « L’inconscient, aujourd’hui ? » Quelle place dans le monde contemporain pour ce qui fait trou, béance, voire discontinuité au discours du maître ? Entre la jaculation du Yadl’Un des épars désassortis et leurs objets lathouses, leurs addictions et leurs identités prêt-à-porter, comment l’acte analytique opère, aujourd’hui, dans sa lecture du savoir insu de l’inconscient du sujet et des modes de jouir du parlêtre contemporain ? Interviendront : Ariel Altman, Adriana Campos, Marlith Pachao et Nayahra Reis. La prochaine soirée, dont la date sera annoncée très prochainement, est prévue pour la fin du mois de novembre en présentiel à la Maison de l’Amérique Latine, pass sanitaire et gestes barrières à l’appui. Pour tout renseignement, contacter par mail Patrick Almeida, responsable du Seminario Latino de L’Envers de Paris, Patrick Almeida par mail>> ; ou le comité d’accueil par mail>>

Le Vecteur Lectures Cliniques de L’Envers de Paris commence son deuxième cycle de travail de deux ans le 15 novembre 2021. Nous allons étudier à plusieurs quelques textes cliniques de S. Freud, J. Lacan, J.-A. Miller et É. Laurent pour y mettre en relief la logique et la dynamique de l’orientation lacanienne qui va servir de boussole pour l’élaboration des cas cliniques qui seront présentés par les participants du vecteur. Pour certains, ce sera l’occasion de parler, publiquement, pour la première fois, de leur travail clinique. Lors de chaque réunion du vecteur, un cas clinique sera présenté, suivie d’une discussion. Deux autres participants vont, chacun, présenter en quelques mots leur questionnement issu de la lecture des textes de référence afin de susciter une conversation générale. Pour que chacun puisse non seulement prendre une part active aux discussions, mais aussi présenter son travail, le nombre de participants est limité.

Les réunions du Vecteur ont lieu le samedi de 15h00 à 18h00, une fois par mois, sauf pendant les vacances scolaires, soit 6 samedis et une réunion d’introduction, entre novembre 2021 et juin 2022. La commission d’organisation du vecteur est composée par : Alexandra Escobar, Pascale Fari, Janis Gailis, Ricardo Schabelman, Andrea Souza Paleari, Ana Ines Vasquez. Les responsables en sont Ricardo Schabelman et Janis Gailis.

Lors de la dernière réunion du Vecteur « Le corps, pas sans la psychanalyse » de L’Envers de Paris, dans le cadre de notre thème de la mise en tension de l’objet a avec le vivant du corps, nous avons discuté d’un cas clinique. Il est apparu qu’il s’agissait plutôt d’un problème de l’ordre du dire : « Au fond, c’est me dire ou ne pas me dire », qui paralyse le sujet pour trouver la voi(e)x de l’énonciation de ce qu’il a à dire. Il s’agit du dévoilement de ce qui se joue pour lui au joint le plus intime dans sa confrontation au réel de l’objet a, et qu’il nomme son symptôme. Nous continuerons nos discussions sur d’autres cas rapportés par chacun. La prochaine réunion aura lieu le 18 novembre à 20h30 à Cachan. Contact : Geneviève Mordant par mail>>

Le Vecteur Psychanalyse et littérature de L’Envers de Paris poursuivra sa recherche sur la fonction du personnage féminin de Zazie dans le roman éponyme de Raymond Queneau en s’orientant du cours de J-A Miller « De la nature des semblants » des 29 janvier1992 et 5 février 1992. Il se réunira le jeudi 24 novembre à 20h00 par Zoom. Le texte de Philippe Doucet que vous pourrez lire sur le site fait valoir ce que l’écriture de R. Queneau doit à « duplicité interne, entre procès de l’énoncé et procès de l’acte de l’énonciation »[i] du langage. En amorçant son roman Zazie dans le métro avec Doukipidonkktan, il en appelle au passage du peu-de-sens au pas-de-sens du mot d’esprit et éveille chez son lecteur la dimension de l’inconscient comme lieu de l’Autre « supposé connaitre la multiplicité des combinaisons signifiantes »[ii]. L’Autre qui reconnait et rit de ce mot d’esprit, atteste qu’il est lui-même « de la paroisse »[iii] du sujet dont la parole est animée de l’objet métonymique du désir. Contact : Marie-Christine Baillehache par mail>>, ou au 06.42.23.37.03.

Pierre Sidon nous donne des nouvelles du Vecteur T&A de L’Envers de Paris.

Addiction : le succès d’un signifiant n’est jamais une opération délibérée, même s’il peut relever de l’invention d’un seul, bien branché sur l’époque. Le marché peut bien alors s’en emparer mais à condition que ce soit d’abord un symptôme devenu social. Ainsi de ladite addiction. Avec l’avènement d’une ère où se mêlent consommation et excès, réunis dans le signifiant euphémisé d’addict, chacun peut aisément s’y reconnaître. Comme tout symptôme, il fait parler. Ce que nous faisons depuis 8 ans au TyA, à L’Envers de Paris et dans le Champ freudien. Nous sommes certes des citoyens consommateurs, mais nous sommes aussi des analysants. C’est-à-dire que nous pratiquons la parole, malgré la jouissance qui s’y oppose. Et nous persistons aussi à travailler en institution malgré le sort qui leur est réservé : nous travaillons à plusieurs malgré l’atomisation du lien social. Que faisons-nous, comment faisons-nous ? Ne restons pas seuls ! Parlons-en ensemble, si la pandémie nous en laisse le loisir : retrouvons-nous à-partir du mois de décembre pour une nouvelle série des conversations « Clinique et addictions » en chair et en os ! Voici les dates des prochaines conversations : 13/12, 24/01, 14/02, 14/03, 11/04, 16/05 et 20/06. Inscriptions et renseignements sur notre site : addicta.org

Voici donc tout le joyeux travail proposé ce mois-ci à L’Envers de Paris à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la psychanalyse !

Marga Auré

* Psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.

[i] Lacan J., Le Séminaire, livre vi, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien éd., 2013, p. 101.

[ii] Ibid, p. 115.

[iii] Ibid, p. 118.

Zazie, le réveil !

Zazie, le réveil !

Zazie, le réveil !

Par Philippe Doucet

La phrase de Roland Barthes sur le roman Zazie dans le métro : « Par sa clausule irrespectueuse, Zazie […] possède la littérature (au sens argotique) exactement comme la Littérature possède le réel qu’elle chante »[i], indique bien dans quelle tension Raymond Queneau place son usage de la Littérature. En rupture avec les romans qui entretiennent l’illusion référentielle, son écriture romanesque ne cesse d’affirmer que la langue ne peut pas dire tout de la réalité dont elle parle, qu’elle échoue à la représenter et qu’il faut toujours le rappeler au lecteur pour qu’il puisse se décoller de cette croyance référentielle qui fige toute chose. Dans Zazie dans le métro, le personnage de Gabriel le rappelle à sa manière : « Paris n’est qu’un songe, Gabriel n’est qu’un rêve (charmant), Zazie le songe d’un rêve (ou d’un cauchemar) et toute cette histoire le songe d’un songe, le rêve d’un rêve, à peine plus qu’un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh ! Pardon). »[ii]

On sait également qu’une des fins possibles qu’avait imaginée R. Queneau pour son roman faisait dire à Zazie dans sa dernière réplique, en lieu et place de J’ai vieilli J’ai écrit un roman. Cette façon de déstabiliser en permanence son lecteur, ce pas-de-côté éminemment quenien qui lui fait comprendre que le personnage n’est qu’une marionnette, une poupée creuse remplie de langage, a une fonction salutaire de réveil. Comme son personnage affirme avec force « Mon cul ! », Queneau affirme avec force que l’écrivain « assume le masque littéraire, mais en même temps […] le montre du doigt »[iii].

Ce double mouvement de construction/déconstruction est parfaitement repérable dans le langage employé par R. Queneau dans ce roman qui reproduit ou fait mine de reproduire le langage parlé populaire, mais pas à la façon d’un Zola ethnographe qui, carnet en main, notait le vocabulaire, les expressions imagées, la syntaxe à intégrer à son récit pour favoriser justement l’illusion référentielle. Une des innovations langagières de R. Queneau consiste à reproduire phonétiquement un mot mais à cette différence que, justement, ce n’est pas une traduction à l’aide de l’alphabet phonétique, ce qui n’aurait en littérature aucun intérêt. La phonétique quenienne est écrite : l’irruption d’un mot ou expression avec son orthographe baroque, voire loufoque, toujours drôle vient subvertir le discours ordonné, lisse, domestiqué. Doukipudonktan, premier mot du roman, vient trouer d’emblée la belle trame textuelle à laquelle on s’attendait. Ce mot énigme qui est aussi bien un mot manifeste, vient déchirer le tissu même du texte littéraire dans sa propension structurale à imposer un ordre lexical, syntaxique fixe. Ce premier mot au sens d’abord obscur confirme la prééminence du signifiant sur le signifié. Doukipudonktan est comme un pur signifiant qui s’impose d’emblée avec force. Dans sa création littéraire, R. Queneau est très original, car il ne crée pas un banal néologisme, soit un grand S, signifiant, sur petit s, signifié. Dans ce premier mot, il crée un signifiant, S, et met sous la barre, non un signifié, mais une suite de signes qui forment une phrase, ordonnée par une syntaxe populaire. Le signifié de Doukipudonktan n’apparaît que dans l’après-coup après une opération mentale, ce qui signifie concrètement que lorsque le lecteur le lit, il y a un trou à la place du signifié, ce qui est une exemplaire démonstration de l’autonomie du signifiant qui produit des effets indépendamment du signifié, à la manière de la lettre volée.

L’originalité de R. Queneau est de fabriquer un signifiant qui remet en perspective la linguistique structurale. Chaque mot est composé d’une combinaison de phonèmes et le phonème est la plus petite unité distinctive de son qui, en soi, n’a pas de sens. Or ici, R. Queneau attribue à chaque phonème un son et un sens, soit un signe, voire même une association de signes :

Dou = d’où     ki = qu’ils       pu = puent       donk = donc    tan = tant

On remarque d’ailleurs l’espièglerie de R. Queneau qui utilise deux K pour mieux perdre son lecteur et produire un rythme puissant. La saveur de ce signifiant pur est bien liée à l’écrit et sa graphie. Contrairement à la métaphore ou à la métonymie qui restent parfaitement compréhensibles à l’oral, le néologisme quenien prend sa saveur d’un rapport à l’écrit même s’il se donne des airs d’oral populaire. De la même façon, cet autre syllogisme de Gabriel : « Skeutadittaleur »[iv] n’est drôle qu’à l’écrit qui, en évacuant le signifié, laisse le signifiant produire seul son effet de signifiant vide. À noter bien sûr que c’est dans la reconnaissance après coup de la subversion que surgit l’aspect comique, qui a toujours à voir avec une chute phallique. La belle langue a été sacrément malmenée… Au fond, R. Queneau fait passer sous la barre de la signification, non plus un signifié, mais une phrase entière d’un parler populaire. Il fait passer sous la barre ce qui relève de la structure syntaxique, de l’aspect différentiel de la langue, sauf qu’ici dans un premier temps les signifiants sont collés entre eux, ne sont plus distincts et ils ne seront reconnus que dans un après-coup. Cet après-coup sidérant est tout aussi bien celui dont l’analysant est affecté quand il entrevoit les effets d’un signifiant singulier dans son roman personnel.

Ce premier mot Doukipudonkktan avec lequel R. Queneau introduit son roman Zazie dans le métro est placé là comme un manifeste pacifique et une invitation complice à se méfier du sens qu’on va construire en tant que lecteur. La fiction est un jeu de langage que ni l’auteur ni le lecteur ne maîtrisent tout à fait. Nous sommes des êtres parlés et ce premier mot de R. Queneau semble nous dire que c’est la langue qui gouverne notre parole et que la littérature est ce lieu où cela peut s’énoncer.

[i] Barthes R., Essais critiques, Seuil, 1964, p. 129-135.

[ii] Queneau R., Zazie dans le métro, Gallimard, 1972, p. 115.

[iii] Barthes R., op. cit., p. 129-135.

[iv] Queneau R., op. cit., p. 13.

Le savoir de Zazie

Le savoir de Zazie

Le savoir de Zazie

Par Rosana Montani

Raymond Queneau est un auteur présent dans le premier enseignement structuraliste de Jacques Lacan. Lacan et Queneau se sont rencontrés à maintes reprises, notamment entre les années 1927 et 1939, tant dans le groupe des surréalistes qu’aux cours d’Alexandre Kojève sur Hegel. Lacan a trouvé dans l’œuvre de R. Queneau, l’écrivain-philosophe, les questions que lui-même élaborait sur le savoir, la vérité et la dialectique du maître et de l’esclave.

Avec son roman de 1959 Zazie dans le métro, R. Queneau tourne en dérision l’homme du savoir absolu hégélien et introduit dans son écriture littéraire la langue parlée de tous les jours.

Le savoir absolu ou S(A).

Jacques-Alain Miller, dans son cours « Donc », donne au Savoir Absolu hégélien sa place de S(A)[i]. Dans Zazie dans le métro, Queneau donne à S(A) la forme des institutions en place, des symboles établis et des grandes figures de l’Histoire et il attribue à une jeune enfant, Zazie, l’audace de s’en affranchir. Les scènes subversives foisonnent. L’oncle de Zazie, Gabriel, propose à Zazie de voir : « le tombeau véritable de Napoléon, je t’y conduirai ». « Napoléon mon cul », réplique Zazie. « Il m’intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con »[ii]. Et dans un autre passage du roman où il est question des « grandes personnes », du « bon éducateur » et de « condamner la violence » :

— Grandes personnes, mon cul, répliqua Zazie. Il veut pas répondre à mes questions.

— Ce n’est pas une raison valable. La violence, ma petite chérie, doit toujours être évitée dans les rapports humains. Elle est éminemment condamnable.

— Condamnable mon cul, réplique Zazie, je vous demande pas l’heure qu’il est.

— Seize heures quinze, dit la bourgeoise.

— Vous n’allez pas laisser cette petite tranquille, dit Gabriel qui s’était assis sur un banc.

— vous m’avez encore l’air d’être un drôle d’éducateur, vous, dit la dame.

— Éducateur mon cul, tel fut le commentaire de Zazie[iii].

Gabriel, en échos à Zazie, l’interroge à son tour et le remet en question au regard de la vérité. De quoi est-on absolument sûr ? « La vérité ! s’écrie Gabriel (geste), comme si tu savais cexé. Comme si quelqu’un au monde savait cexé. Tout ça (geste), tout ça c’est du bidon : le Panthéon, les Invalides, la caserne de Reuilly, le tabac du coin, tout. Oui, du bidon »[iv]. Dans un autre passage : « Au début, Gabriel médita, puis prononça ces mots : “l’être et le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l’homme qu’à la fin il disparaît”. Un taxi l’emmène, un métro l’emporte, la tour n’y prend garde, ni le Panthéon. Paris n’est qu’un songe, Gabriel n’est qu’un rêve (charmant), Zazie le songe d’un rêve (ou d’un cauchemar) et tout cette histoire le songe du songe, le rêve d’un rêve, à peine plus qu’un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh ! pardon) »[v].

Zazie, l’unique enfant de ce roman, renverse les savoirs établis et les certitudes des adultes qu’elle rencontre, les embarquant dans ses péripéties au gré de ses envies les plus décidées. Elle veut prendre le métro en grève, porter des bloudjinnzes de contrebande et savoir si oui ou non son oncle Gabriel est hormosessuel. Ses répliques tranchantes coupent court au bla-bla des adultes et met fin aux dialogues avec une même et seule petite phrase, subversive, chargée de sexualité : « mon cul ». Zazie ne se laisse pas arrêter dans ce qu’elle veut et refuse qu’on l’assigne à une place fixée une fois pour toute. Dès son arrivée à Paris, elle est sommée de monter dans un taxi qu’elle trouve « moche » :

— Monte, dit Gabriel, et sois pas snob.

— Snob, mon cul[vi].

Plus loin avec un autre adulte :

— Tu es bien gentille de t’occuper de mes affaires, dit Turandot d’un air supérieur.

— Gentille mon cul, rétorqua Zazie[vii].

Et dans un autre dialogue avec Mme Mouaque, le personnage de la femme bourgeoise, qui s’adresse à Gabriel :

— Vous ne semblez pas très bien la connaître, cette enfant. On dirait que vous êtes en train de découvrir ses différentes qualités.

Elle roula le mot qualités entre des guillemets.

— Qualités mon cul, grommela Zazie[viii].

Ni snob, ni gentille, ni avec des qualités, Zazie réplique avec la force de sa pulsion.

Notre « savoir absolu »

Dans son cours du 12 janvier 1994, J.-A. Miller souligne l’écart radical qui sépare l’expérience psychanalytique du concept de Savoir Absolu de Hegel : « Lacan explique pourquoi Hegel fait défaut quand il s’agit de conceptualiser l’expérience analytique, dans la mesure où dans le savoir absolu, là où le réel est si bien conjoint au symbolique qu’il n’y a plus rien à attendre du réel, on trouve un sujet qui s’achève dans son identité à lui-même. »[ix] Et il soutient, en rupture avec ce Savoir Absolu » de Hegel, que « notre “savoir absolu” entre guillemets, c’est l’objet a »[x].

Avec Zazie qui renverse la table du savoir établi, qui ne veut rien comprendre de qu’on lui dit et qui réplique « mon cul ! » pour toute fin de non-recevoir, c’est cet objet a qui fait son entrée dans l’écriture littéraire de R. Queneau.

[i]. Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 12 janvier 1994, inédit.

[ii]. Queneau R., Zazie dans le métro, Paris, Gallimard, 1972, p. 13.

[iii]. Ibid., p. 95.

[iv]. Ibid., p. 15.

[v]. Ibid., p. 85.

[vi]. Ibid., p. 11.

[vii]. Ibid., p. 26.

[viii]. Ibid., p. 98.

[ix]. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc », op. cit.

[x]. Ibid.

ÉDITO OCTOBRE 2021

ÉDITO OCTOBRE 2021

Chères et chers membres et ami(e)s de L’Envers de Paris,

Cette rentrée, L’Envers de Paris retrouve une intense activité où beaucoup de nos réunions sont déjà prévues en présentiel. C’est un grand bonheur de pouvoir nous retrouver à nouveau ensemble car l’étude et la transmission de la psychanalyse a un autre poids avec nos corps ! Pour nos événements publics au théâtre, au cinéma, en librairie, ou dans les locaux de l’École, pensez à vous munir du « pass sanitaire » qui sera encore exigé à l’entrée.

Les J51 de l’ECF approchent. Elles auront lieu par visio-conférence les 20 et 21 novembre prochains sous le titre La Norme Mâle. Les thèmes d’étude sont passionnants et concernent notre hyper et postmodernité. Ces journées proposent un questionnement qui traverse notre clinique par-delà les coordonnées dictées par la norme ou la normalité. Vous pouvez vous inscrire en cliquant sur ce lien>> 

Nous préparons ces 51e Journées avec soin par l’organisation de plusieurs événements :

L’Envers de Paris prépare la rentrée des Cartels en partenariat avec l’ACF-IDF. Elle aura lieu jeudi 14 octobre à 21h00 en visioconférence. Nous entendrons le travail de deux intervenants, Laurence Maman et Nicolás Landriscini*, avec pour perspective le thème des prochaines journées de l’ECF La Norme Mâle que nous préparons avec plusieurs cartels constitués suite à « l’appel à cartels » de juin dernier. Dalila Arpin sera notre invitée pour apporter son éclairage et discuter les textes présentés. Nous réfléchirons au malaise dans la virilité et aux inventions qui peuvent s’en dégager ! Enfin, la soirée se conclura par le tirage au sort des nouveaux cartels.

 

Le Vecteur Psynéma de L’Envers de Paris vous propose le film de Stanley Kubrick, Full Metal Jacket, le 16 octobre à 14h00, au Patronage Laïque Jules Vallès (72 Av. Félix Faure, 75015 Paris). Nous vous invitons à un après-midi préparatoire aux J51 de l’ECF sur La Norme Mâle avec la projection intégrale du film suivie d’un débat avec François Leguil* qui sera notre invité. Le « pass sanitaire » sera exigé à l’entrée. Vous pouvez réserver votre place en vous inscrivant par ici>> 

Par ailleurs, ce Vecteur tiendra sa prochaine réunion le 10 octobre, consacrée à la lecture de la leçon de Lacan du 8 janvier 1974, du Séminaire XXI, « Les non-dupes errent ». Nous interrogerons la problématique topologique de l’orientation du sens. Et pour terminer l’année en beauté, le 11 décembre aura lieu la projection-débat de Klute, film de A. J. Pakula. Avec ce film nous travaillerons sur le thème de l’étude proposée cette année à L’Envers de Paris « Épars désassortis de la globalisation ». Les intéressés souhaitant participer aux activités de ce groupe peuvent contacter, pour tout renseignement, Karim Bordeau, par mail>> ; ou Maria Luisa Alkorta, par mail>> 

Voici d’autres informations concernant nos soirées de travail proposées en octobre :

Le collectif Théâtre et Psychanalyse de L’Envers de Paris s’est réuni le 29 septembre pour préparer la prochaine rencontre qui aura lieu le 8 octobre à 21h00 au théâtre de la Bastille, autour de la pièce adaptée du roman de Balzac Illusions perdues, et mise en scène par Pauline Bayle. Deborah Gutermann-Jacquet* viendra débattre avec Pauline Bayle à l’issue de la représentation. Le collectif a organisé dimanche 26 septembre une nouvelle rencontre dans le cadre du partenariat avec le théâtre de l’Odéon. Nombreux étions-nous à assister à la magnifique représentation de Comme tu me veux, de Pirandello. La pièce fut suivie d’un débat passionnant animé par Hélène de La Bouillerie* avec Stéphane Braunschweig, directeur du théâtre de l’Odéon – que le collectif rencontrait pour la quatrième fois – et Cinzia Crosali*.

Le jeudi 21 octobre à 21h00, L’Envers de Paris propose une soirée, animée par Agnès Vigué-Camus, ayant pour titre : Être ou naître poème ? Ce que nous pouvons apprendre des poètes. Nathalie Georges-Lambrichs* est psychanalyste et écrit des recueils de poèmes, dont le dernier, Tomber des nues, est paru aux éditions du Canoë en mars 2021. Une lecture de quelques-uns de ces textes, empruntant la forme brève du haïku, sera suivie d’une conversation avec Dominique Corpelet*, Stella Harrison*, Claude Luca-Georges, Pierre Malengreau, Ginette Michaux Myriam Mitelman* et Rosana Montani. Ce sera l’occasion de revenir sur les affinités de la poésie et de la psychanalyse en cherchant à enquêter sur le savoir-faire des poètes pour éclairer quelques points brûlants qui touchent à l’expérience analytique et à la fin de l’analyse.

Voici une importante information du Vecteur Lectures Cliniques de L’Envers de Paris avec l’annonce de la permutation de ses responsables : à partir d’octobre, ce vecteur est sous la responsabilité de Janis Gailis et de Ricardo Schabelman*. Ce Vecteur propose une lecture de textes de référence (J. Lacan, J.-A. Miller, É. Laurent…) sur la pratique d’orientation lacanienne. Nous faisons le pari que cette lecture à plusieurs aide à découvrir et à redécouvrir de quoi est faite la boussole de la clinique lacanienne. Nous avons à cœur de faire des liens et des allers-retours entre les textes et la pratique des participants qui y exposent des cas cliniques. Les réunions de Vecteur ont lieu le samedi de 15h00 à 18h00, une fois par mois, sauf pendant les vacances scolaires, soit 5 à 6 samedis entre novembre 2021 et juin 2022. C’est parfois la première occasion de prendre la parole, de présenter un exposé et d’en débattre à plusieurs. Pour que chacun puisse présenter son travail, le nombre de participants est limité. La commission d’organisation du vecteur est composée par : Alexandra Escobar, Pascale Fari*, Janis Gailis, Ricardo Schabelman*, Andrea Souza Paleari, Ana Ines Vasquez. Un deuxième cycle va s’ouvrir en novembre prochain pour deux années scolaires (jusqu’en juin 2023). Il reste quelques places et quelques jours pour adresser votre demande par mail>> ; ou contacter les responsables.

Le Vecteur Lectures freudiennes de L’Envers de Paris travaille actuellement à l’édition de leur traduction des trois derniers textes de Freud : « Constructions dans l’analyse » (1937), « Analyse finie et analyse infinie » (1937), « La division du Ich dans le processus de défense » (1938), dont la publication chez Eres est prévue au printemps 2022. Un entretien avec Stella Harrison à ce propos, sera publié dans le prochain numéro d’Horizon. Par ailleurs nous commençons la traduction de l’article de Freud de 1919 « Un enfant est battu » – « Ein Kind wird geschlagen » – le mercredi 6 octobre 2021. Les intéressés peuvent contacter Susanne Hommel par mail>> ; ou Nathalie Menier par mail>>

Le Vecteur Psychanalyse et Littérature de L’Envers de Paris a fait sa première réunion de rentrée en septembre. Rosana Montani a mis en tension le Savoir Absolu hégélien et l’insolence iconoclaste décidée de Zazie, le personnage central du roman de Raymond Queneau Zazie dans le métro. Vous pourrez lire son texte sur le site de L’Envers de Paris. Lors de notre réunion d’octobre, nous approfondirons le rapport au langage de R. Queneau et sa mise en forme littéraire novatrice dans ce même roman Zazie dans le métro. Nous y interrogerons spécifiquement la place qu’il donne à l’insolite, au surprenant et au ludique par son introduction dans son écriture du langage-parlé-populaire. Le texte de P. Doucet servira d’appui aux remarques et aux questionnements de chacun. Notre prochaine réunion aura lieu par Zoom le lundi 18 octobre à 20h00. Contact : Marie-Christine Baillehache par mail>>

Patrick Almeida et l’équipe éditorial du Vecteur Seminario Latino de L’Envers de Paris prévoient une réunion en octobre afin de peaufiner leur thématique de travail pour l’année 2021/2022 « L’inconscient, aujourd’hui ? ». Cela s’inscrit à la suite de leur dernière soirée de septembre qui a été consacrée à la thématique annuelle de L’Envers de Paris sur « L’un du monde de la globalisation : les épars désassortis, entre racisme et ségrégation ». Quelle place dans le monde contemporain pour ce qui fait trou, béance, voire discontinuité au discours du maître ? Entre la jaculation du Yadl’Un des épars désassortis et leurs objets lathouses, leurs addictions et leurs identités prêt-à-porter, comment l’acte analytique opère, aujourd’hui, dans sa lecture du savoir insu de l’inconscient du sujet et des modes de jouir du parlêtre contemporain ? La prochaine soirée, dont la date sera annoncée prochainement, est prévue pour le mois de novembre en présentiel à la Maison de l’Amérique Latine, « passe sanitaire » et gestes barrières à l’appui. Pour tout renseignement contacter le comité d’accueil par mail>>

Le Vecteur Le corps pas sans la psychanalyse de L’Envers de Paris commence le travail de l’année avec une discussion à propos d’une vignette clinique que chacUn doit écrire à partir de son expérience, en rapport avec l’objet a pour le mettre en tension avec le vivant du corps, et mettre ainsi en relief comment la part de l’objet en relation au réel peut éclairer un trait de la singularité du sujet. Nous mettrons au travail La Troisième de Lacan. Prochaine réunion en « présentiel » à Cachan le jeudi 21 octobre à 20h30. Contact : Geneviève Mordant par mail>>

Le Vecteur T&A de L’Envers de Paris reprendra ses réunions et activités en présentiel à partir de novembre. Nous vous tiendrons au courant. Les intéressés peuvent contacter Pierre Sidon par mail>>

Je vous souhaite pour ce mois-ci un bon travail de transmission de la Psychanalyse d’orientation lacanienne dans notre ville de lumières !

Marga Auré

* Psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.