ÉDITO AVRIL 2021

ÉDITO AVRIL 2021

Chères et chers membres et amis de L’Envers de Paris,

Nous étions très nombreux connectés par Zoom pour participer à notre Assemblée générale ordinaire du 24 mars dernier. 79 membres ont assisté à une conversation animée dans laquelle nous avons constaté à quel point L’Envers de Paris avait trouvé en 2020 son élan dans l’affirmation d’un lien d’étude, entre ses membres et amis. Malgré les confinements successifs, les couvre-feux et la prolongation de la pandémie, ce lien de travail et de transmission de la psychanalyse a pu se poursuivre dans la plupart de nos groupes.

Le bureau de L’Envers a souhaité créer un réseau d’élaboration transversal pour notre association avec un thème d’étude commun. Une fois écarté le projet d’organisation d’une journée de L’Envers de Paris en juin prochain, nous avons programmé une série de soirées Zoom en 2021 sur le thème : Épars désassortis de la globalisation : nouvelles angoisses, nouvelles solitudes, nouveaux nouages avec la psychanalyse. Le 8 avril prochain nous tiendrons la soirée d’ouverture et nous aurons le plaisir de travailler avec Sonia Chiriaco qui conduira le débat avec les présentations d’Adela Bande-Alcantud, Cinzia Crosali, Romain-Pierre Renou et moi-même. La deuxième soirée est prévue le jeudi 24 juin, organisée par le Vecteur Lectures cliniques. Laurent Dupont sera notre invité pour orienter le débat et la conversation. D’autres rencontres sur ce thème sont aussi prévues pour le deuxième semestre.

Le Seminario Latino de L’Envers de Paris prévoit une rencontre sur le « racisme » en septembre : Marie-Hélène Brousse sera notre invitée. Puis, probablement, une soirée inter-cartel. Avec ces rencontres, nous tirerons les conséquences de la lecture subversive que la psychanalyse lacanienne permet des nouvelles formes de lien social et des nouages inédits qu’elle propose à la pointe de la contemporanéité.

Un nouveau projet est en cours d’organisation, propulsé par Nathalie Georges-Lambrichs avec une rencontre entre Francesca Biagi-Chai et Patricia Janody. Elles sont toutes deux psychanalystes et psychiatres, avec un long parcours, et désireuses de nous transmettre leur expérience. Notez déjà dans vos agendas la date de cette soirée qui aura lieu le jeudi 10 juin. Nous vous donnerons plus d’information dans le prochain courrier.

Comme déjà annoncé dans l’édito de février, Thérese Petitpierre nous donne des nouvelles du Séminaire Les enfants de la science qui participe à la préparation du Congrès PIPOL 10. Vous trouverez dans notre site l’affiche qui en annonce le thème « Lorsque le désir d’enfant rencontre la science », l’argument, les noms et qualités des intervenants ainsi que les institutions partenaires. Une date vous sera communiquée dès que possible. C’est à partir de leur expérience clinique que François Ansermet et Nouria Gründler interrogeront ces six intervenants, tous enseignants-chercheurs, sur ce monde en mutation qui s’invente à travers les biotechnologies. Comment les contours s’en dessinent-ils aujourd’hui ? Comment l’avenir à plus ou moins long terme s’esquisse-t-il ? Comment les fantasmes des sujets ayant recours à la science pour traiter tel ou tel obstacle sur la voie de leur désir d’enfant rencontrent-ils ou vont-ils rencontrer les possibles qui leur sont/seront proposés ? À quels impossibles ces sujets vont-ils se trouver confrontés ? Quelles inconnues ? À quel réel ? C’est d’abord sous la forme de courtes vidéos que la conversation s’engagera. Le Webinaire Les enfants de la science sera un temps d’approfondissement de ces questions.

Et voici les propositions des rencontres de nos groupes et Vecteurs en avril ouvertes à ceux qui voudront se mettre à l’étude de la psychanalyse :

Le Vecteur Psynéma annonce que la fin du cycle 2020-2021, année marquée par la Covid-19 mais dont les réunions ont été maintenues via Zoom à un rythme soutenu. Une des quatre projections prévues a pu se réaliser en salle par un travail rigoureux et un excellent débat enchanté par le plaisir de se retrouver ensemble. Deux articles ont étés produits : l’un dans le n° 65 de la publication Horizon et l’autre sur le site de L’Envers de Paris. Le vecteur tiendra sa prochaine réunion le 11 avril à 20h00. Nous commencerons notre chemin par une lecture du film The Big Lebowski des frères Coen sorti en 1998. Excellent film à bien des égards, très joycien dans son esprit. Nous ferons le choix des films pour le prochain cycle 2021-2022 ainsi que pour la première projection-débat orientée par le thème des 51e Journées de l’ECF : « La norme mâle ». La lecture du Séminaire XXI de Lacan « Les non-dupes errent » orientera notre travail. Contact :Maria-Luisa Alkorta par mail>> ou Karim Bordeau par mail>>

Le Vecteur Le corps, pas sans la psychanalyse engage sa réflexion sur le thème : « Du corps pulsionnel en pandémie ». Nous sommes repartis du signifiant d’Antigone (Séminaire VII) qui connecte les questions de la Loi dans la Cité, du Désir (« ne pas céder sur… ») et de la Jouissance, liées aux pulsions de vie et de mort. Comment le cas d’Antigone peut-il résonner au temps présent, pour mettre en rapport, autour du Corps, la Pulsion, la Violence et la Transgression ? Prochaine visioréunion le mercredi 14 Avril à 20h30. Contact : Geneviève Mordant par mail>>

Le Collectif Théâtre et psychanalyse se réunira par Zoom le 22 avril pour revenir sur la rencontre Fanny et Alexandre et discuter de la nouvelle pièce pour laquelle nous proposerons bientôt une nouvelle rencontre. Contact : Philippe Benichou par mail>>

Le Seminario Latino aura sa 4ème soirée, cette fois-ci se déroulant en français, autour du thème « Un monde sans dehors : affects et effets du malaise contemporain », le jeudi 15 avril à 21h00 par Zoom. Nous aurons le plaisir de recevoir à Pascale Fari en tant qu’extime de cette soirée qui comptera sur la participation de Juan Aliotti, Francesco Bernardi, Juan Rodriguez et Ana Inés Vasquez. La soirée sera animée par Patrick Almeida et Adriana Campos. Inscription : cliquez ici>>

Après votre inscription, vous recevrez un e-mail de confirmation contenant les instructions pour rejoindre le webinaire.

Le Vecteur Psychanalyse et littérature se réunira par Zoom le Jeudi 22 avril à 20h00. Nous continuerons à déplier et à approfondir comment l’écriture littéraire de Nathalie Sarraute subvertit le Discours Capitaliste lié au Discours de la Science qui impose des objets plus-de-jouir de masse en toc. Par son savoir-faire apparaît la sonorité de la Lettre dans la chaîne discursive de son écriture, non seulement elle traite par la Lettre sa propre jouissance de corps a-normale, irréductible et incollectivisable, mais aussi elle la fait entendre, au-delà du sens, dans les équivoques de sa langue écrite. Son art littéraire fait sa place et donne forme à son Dire symptomatique qui n’est pas à comprendre mais dont on peut rire. Le texte « Taka l’Dire. Quand l’écriture résonne » sera notre appui et l’écrit de Lacan « Lituraterre » notre boussole. Contact : Marie-Christine Baillehache par mail>> ou par téléphone : 06 42 23 37 03.

Le Vecteur Lectures cliniques continue d’organiser des réunions mensuelles par Zoom et poursuit son travail. Nous expérimentons ainsi ces nouvelles modalités d’échange et de discussion. Comme les fois précédentes, la séance s’ouvrira avec un « flash » proposé par un membre de la commission d’organisation sur le texte « Intuitions milanaises » de J.-A. Miller (Mental, n° 11&12). Nous poursuivons la lecture de l’ouvrage de J.-A. Miller, L’os d’une cure (Navarin, 2018) : deux participants exposeront leur lecture de la troisième partie. La deuxième partie de la séance sera consacrée à la présentation, suivie d’une discussion d’un cas clinique par une autre participante. Contact : Adela Bande-Alcantud par mail>>  ; et Pascale Fari par mail>>

Le Vecteur Lectures freudiennes, nous informe en contact avec Mme Elise Wiener-Kral, responsable aux éditions Eres de la collection Scripta, pour la relecture de nos traductions des trois derniers textes de Freud : « Constructions dans l’analyse », « Analyse finie et analyse infinie », « La division du Ich dans les processus de défense ». Une publication en version bilingue est prévue pour le second semestre 2021. Par ailleurs nous avons entrepris une première relecture de notre traduction de l’article de Freud de 1915 « Complément métapsychologie à la doctrine du rêve ». Pour nous contacter : 06 47 13 89 91.

Voilà donc tout ce programme de travail ouvert à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’étude de la psychanalyse.

A très bientôt,

Marga Auré

Taka l’Dire. Quand l’écriture résonne

Taka l’Dire. Quand l’écriture résonne

Taka l’Dire. Quand l’écriture résonne

Par Isabelle Otechar et Marie-Christine Baillehache

Nathalie Sarraute travaille le langage avec le goût de la langue. Dans son livre Ouvrez, elle met ce goût à l’œuvre dans un roman où les personnages sont les mots eux-mêmes.

« Des mots, des êtres vivants parfaitement autonomes, sont les protagonistes de chacun de ces drames[i] ».

Son intérêt n’est pas de chercher et de trouver les mots, mais de les ouvrir à ce qui est au-delà de leur usage de communication et qui, entre les mots, ne se dit pas, mais pourtant s’entend comme une présence.

 

 

L’écriture dont le corps se mêle

L’écriture littéraire de N. Sarraute dans Ouvrez n’est pas celle d’une histoire cadrée avec un début, un milieu et une fin, mais celle de sa recherche de mettre de la substance vivante dans le langage et de créer une écriture nouvelle. Sa visée, à partir de son travail du langage, est celle de produire sa langue singulière.

« Tout ce que j’ai voulu, c’était investir dans le langage une part, si infime, fut-elle, d’innommé[ii] ».

Cet innommé dans le langage produit une écriture dont le corps se mêle. S’il y a le corps, il y a la jouissance, les deux ne peuvent pas se penser séparément, comme Jacques Alain Miller le souligne :

« La jouissance elle-même est impensable sans le corps vivant qui est la condition de la jouissance[iii] ». Dès que le corps et la jouissance se mêlent dans l’écriture, le langage devient intranquille, étonnant et vibrant. De ce fait, il ne s’agit plus du langage qui a comme objectif de communiquer, mais de la langue singulière qui pulse dans les lacunes du langage avec l’affect présent entre les mots. Le roman Ouvrez de N. Sarraute est un livre entièrement centré sur cet usage des mots qui fait entendre le mystère présent au dedans des mots même et qui échappe au sens.

Le mystère dans les mots

Ce qui échappe à notre compréhension et fait énigme est ce devant quoi N. Sarraute ne recule pas et qu’elle vise et travaille par son écriture littéraire. C’est en prenant comme au hasard un mot et en le coupant de toutes les significations qui lui sont habituellement attribuées, qu’elle cherche à en extraire la sensation énigmatique, l’affect du corps hors-sens provoqués par ce mot. L’irruption d’un réel singulier est en cause et toute son attention d’écrivain se porte sur ce mystère réel qu’elle ne peut pas nommer.

Son intérêt n’est pas de faire de la belle écriture avec les mots déjà-là mais de s’approcher avec les mots de ce qui ne peut se dire. Ce n’est pas le dit qu’elle vise, mais ce qui n’est pas dit et qui pourtant s’entend dans le dit. Elle cherche dans son écriture à faire résonner ce qui s’entend dans le dire qui implique le corps jouissant hors-sens. Sa visée rejoint ce que Lacan nous enseigne sur le dire qui échappe au sens, ne se place pas dans le symbolique, mais se situe entre les mots et met en jeu le manque de l’Autre et la division du sujet par sa jouissance. Son écriture littéraire s’ouvre, au-delà du sens, à la « motérialité[iv] » du langage, à sa matière sonore. Elle fait entendre le mystère du dire dans les mots. Au-delà de l’énigme romanesque qui relevé de l’Autre du symbolique articulé, Nathalie Sarraute écrit l’innommée qui est dans les mots. Sa recherche de sa langue singulière prend sa source dans l’énigme de la langue dont Lacan nous enseigne qu’elle est le fait « qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend[v] ».

Dans le chapitre X de Ouvrez, Nathalie Sarraute prend le mot le plus usité « Tu », le coupe de ses significations les plus attendues et fait entendre la résonance que ce mot tout seul a pour elle.

« – Ça y est, “Tu” a encore fait des siennes…

            – Oh, avec “Tu”, on peut s’attendre à n’importe quoi…

            – En tout cas à une de ces crises de laisser-aller qu’il lui arrive d’avoir de temps à autre…

            – Il se débraille, il va jusqu’à se dénuder sans aucune pudeur…

            – Vous le voyez maintenant, il a une de ses belles crises… le voilà avec “n’as qu’à”… “Tu n’as qu’à”… Eh bien, ce “n’as qu’à” collé à lui le gêne… Alors il n’hésite pas… il se débarrasse de son “u”, de son “n”… “T’as qu’à”.

            – Vraiment, il faut qu’il n’ait pas honte…

            […]

            – Alors tu sais de quoi tu as l’air maintenant ?

            – Non, de quoi ?

            – Tu as l’air d’un “Taka”, tu t’en rends compte ?

            – D’un “Taka”, c’est amusant…

            – Amusant d’être un “Taka” ? Mais tu ne sens pas combien “Taka” est laid, vulgaire ?

            – Non, moi “Taka” ne me choque pas… mais pas du tout… Taka… Taka… Ça a un petit air exotique… Taka… Taka… ce nom, plus je le répète, plus il me plaît…[vi] »

En maniant un signifiant tout seul, elle met en jeu une part de corps jouissant dont le hors-sens résonne dans le dire. À partir de ce signifiant tout seul élevé à la valeur d’un trait unaire, elle parvient à extraire son écriture du sens et à y faire résonner une énigmatique substance vivante. Par son procès d’écriture, N. Sarraute se donne le nom de l’écrivain de l’énigme jouissante : « Taka ».

[i]. Sarraute N., Ouvrez, Paris, Éditions Gallimard, 1997, p. 9.

[ii]. Sarraute N., « Ce que je cherche à faire », Œuvres complètes, La Pléiade, Paris, 1996, p. 1702

[iii]. Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n° 44, 2000, p. 8.

[iv]. Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », in Le Bloc-notes du psychanalyste, n°5, 1985, p. 12.

[v]. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 20.

[vi]. Sarraute, op. cit., p. 109 et 110.

 

La politique subversive de l’inconscient

La politique subversive de l’inconscient

La politique subversive de l’inconscient

Par Véronique Melul et Marie-Christine Baillehache

En 1965 dans « La science et la vérité », Lacan fait valoir que « nul langage ne saurait dire le vrai sur le vrai, puisque la vérité se fonde de ce qu’elle parle, et qu’elle n’a pas d’autres moyens pour se faire »[i], mais il reconsidère cette définition de l’inconscient comme la vérité du sujet, la vérité qui parle et interroge le rapport entre la vérité et le savoir : « Et revenir encore sur ce dont il s’agit : c’est d’admettre qu’il nous faille renoncer dans la psychanalyse à ce qu’à chaque vérité réponde son savoir ? Cela est le point de rupture par où nous dépendons de l’avènement de la science. Nous n’avons plus pour les conjoindre que ce sujet de la science. »[ii]

Si la science procède du symbolique, Lacan ne sépare pas la science du sujet structuralement divisé par le manque de l’Autre du symbolique qui ne peut nommer l’objet qui cause le désir inconscient du sujet, soit l’objet a. Désormais, il établit que la vérité de l’inconscient est cet objet a cause du désir. L’inconscient est cette vérité insue de sujet. Marqué du non-savoir, l’inconscient est antinomique à tout savoir formalisé en des systèmes symboliques sans reste.

C’est en se référant à Descartes, qui remet en question les certitudes établies et constituées de savoir, que Lacan nous rappelle l’innovation radicale qu’il a introduit dans la science. Aux vérités des écritures sacrées qui font autorité, Descartes oppose une exigence de certitude et procède à un vidage du savoir par le doute systématique jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de douter. Ce dont il est impossible de douter, Descartes le situe dans le cogito et c’est à cette place du cogito comme reste impossible à annuler par le doute que Lacan situe le sujet de la science : « Descartes saisit son “je pense” dans l’énonciation du “je doute”, non dans son énoncé qui charrie encore tout de ce savoir à mettre en doute. Dirais-je que Freud fait un pas de plus […] quand il nous invite à intégrer au texte ce que j’appellerai le colophon du doute […] Le colophon du doute fait partie du texte. Cela nous indique que Freud place sa certitude, Gewissheit, dans la seule constellation des signifiants tels qu’ils résultent du récit, du commentaire, de l’association, peu importe la rétractation. Tout vient à fournir du signifiant, sur quoi il compte pour établir sa Gewissheit à lui – car je la compare à la démarche cartésienne »[iii].

Lorsqu’en 1964 dans « Subversion du sujet et dialectique du désir », Lacan reprend la conception freudienne de la vérité refoulée qui fait retour comme savoir, un savoir qui interprète, déforme la vérité et ne peut jamais tout en dire, c’est pour faire valoir que non seulement il est possible de douter du savoir mais surtout que c’est en faisant agir son ignorance qu’il est possible de désirer savoir quelque chose de sa vérité. Ainsi, du côté du sujet, le sujet ne sait pas ce qui fait agir son désir de savoir ; et du coté de l’Autre, l’Autre ne peut prétendre à un savoir exhaustif sur la vérité du sujet : « La vérité n’est rien d’autre que ce dont le savoir ne peut apprendre qu’il le sait qu’à faire agir son ignorance. »[iv]

C’est dans ces années 1964-4965 de son enseignement que Lacan loge dans le manque de l’Autre un reste de vérité insymbolisable qui divise le sujet entre être et manque-à-être, entre signifiant et pulsion. S’il avait jusqu’ici résorbé la pulsion dans l’articulation signifiante S– S2, il fait désormais valoir que l’articulation signifiante laisse échapper un reste insymbolisable, l’objet a. L’objet a est la part de la pulsion qui échappe au symbolique. L’Autre est affecté d’une barre, de la barre de l’ignorance qui passe dans les intervalles qui séparent les signifiants entre eux et où se loge la vérité de l’inconscient comme objet a. C’est entre les signifiants que se situe le trou de l’Autre et que la vérité ne s’y manifeste pas seulement dans les lapsus, les oublis, les mots d’esprit, les symptômes mais aussi comme cause a du désir inconscient.

C’est en ce point de l’Autre barré et du sujet divisé que J.-A. Miller, dans son article « Intuitions milanaises », situe le lien entre l’inconscient et la politique : « Au départ, c’est un politologue plutôt lacanoïde qui définit la politique comme un champ structuré par S ([A barré]) où le sujet fait, dans la douleur, l’expérience que la vérité n’est pas une, que la vérité n’existe pas, et que la vérité est divisée. Et c’est une définition de la politique qui a toute sa virulence dans le moment que nous vivons, moment qui est tout de même dans l’ensemble un moment “post-totalitaire” »[v].

Dans le discours scientifique dominant notre époque, le savoir se voulant sans reste est prééminent et le sujet y est non divisé. Le sujet contemporain interroge le signifiant maître S1 et produit un savoir S2 dans lequel l’objet a est forclos. Dans le discours scientifique, le sujet ne fait pas agir son ignorance et ignore sa vérité comme béance du savoir. Le discours de la science contemporain veut ignorer que l’Autre a un trou. Il ignore ce qu’est le vide de l’Autre comme vérité du sujet et cause de son désir singulier. Il affirme que le réel de l’objet a est entièrement maîtrisable, calculable et mesurable. Allié au discours capitaliste, le discours de la science participe à la production d’objets a en toc qui viennent sans cesse combler le manque de l’Autre. Ces objets-lathouses sont autant de leurres de l’objet cause du désir inconscient du sujet. Le manque et le désir de l’Autre et du sujet sont obsolètes et la jouissance n’est plus régulée par la loi du désir mais par les nombres qui la norment de façon absolue. Dans notre modernité, le surmoi est devenu tyrannique, confrontant le sujet à du sans limite, de l’impuissance, de l’échec et de l’absence de joie de vivre.

Si la littérature dont l’objet est le langage, est un effort toujours recommencé pour écrire le réel radicalement hors-sens de l’objet a, elle n’éclaire la psychanalyse qu’à être prise à la lettre. C’est ce que nous continuerons de nous efforcer de déplier à partir de la visée littéraire de Nathalie Sarraute.

[i] J., « La science et la vérité », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 867-868.

[ii] Ibid., p. 868.

[iii] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 44-45.

[iv] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, op. cit., p. 798.

[v] Miller J.-A., « Intuitions milanaises », Mental, n° 11, décembre 2002, p. 12-13.

 

Epars désassortis de la globalisation, soirée 1

Epars désassortis de la globalisation, soirée 1

Rencontre animée par :
Sonia Chiriaco
Le jeudi 8 avril à 21h
Visioconférence Zoom. Inscription en cliquant ici>>

Après inscription, vous recevrez un mail de confirmation contenant les instructions pour rejoindre le webinaire.

ÉPARS DÉSASSORTIS DE LA GLOBALISATION :

Nouvelles angoisses, nouvelles solitudes, nouveaux nouages avec la psychanalyse

La globalisation marque un changement historique abyssal au moment même où la pandémie imprime à notre époque un caractère inédit. Le désordre de la société globale fabrique des « épars désassortis »[1], chacun d’eux englouti dans sa solitude et dans son mode singulier de jouir.

L’ordre ancien, avec la solide boussole d’un Autre consistant, de la loi et de l’amour du père s’est achevé.

Un nouveau monde est apparu. Le colossal progrès de la science, la réussite des technologies, et l’économie de marché ultralibérale, ont fait triompher sur la planète entière une société d’addicts, d’hyperconnectés, une société de consommateurs d’objets avec le droit pour chacun d’en jouir. La performance de la globalisation suppose de combler tout manque pour générer de la plus-value mais elle produit aussi de l’angoisse. Avec l’inconsistance de l’Autre, apparaît une nouvelle clinique de la « forclusion généralisée » et l’arrivée d’une myriade de nouveaux monosymptômes.

Dans les sociétés mondialisées divers modes de jouissances coexistent, s’entrecroisent, s’entrechoquent. Puisque « l’Autre n’existe pas », c’est le lien social qui fait fonction de point capiton. Les communautés identitaires, de plus en plus idiosyncratiques, apparaissent, provoquant rejet et ségrégation.

Lors de notre soirée nous parlerons de la logique et de la clinique nodale dans cette nouvelle époque. La psychanalyse donne une chance aux « Uns égarés »[2], que nous sommes d’établir un nouveau lien à l’Autre et, ce faisant, d’obtenir un savoir y faire avec notre propre mode de jouissance.

Marga Auré

[1] Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.

[2] Miller J.-A., « Les prophéties de Lacan », entretien, Le Point, 18 août 2011, disponible sur internet.

ÉDITO MARS 2021

ÉDITO MARS 2021

Chères et chers membres et amis de L’Envers de Paris,

Je voudrais rappeler à tous les membres de L’Envers de Paris que, en ce mois de mars, nous avons un rendez-vous important, puisque nous allons nous réunir pour converser et débattre de notre association lors de notre Assemblée Générale Ordinaire qui sera convoquée très prochainement, le mercredi 24 mars à 21h00, par Zoom. Nous vous y attendons et j’espère que vous serez présents toutes et tous. Puisqu’encore une fois nous ne pourrons pas nous réunir avec nos corps et notre présence physique, nous aurons néanmoins l’opportunité et la possibilité de nous voir et de nous parler par visioconférence. L’année a été complexe, ingrate. Beaucoup de restrictions à nos libertés nous ont été imposées pour freiner la propagation de la pandémie. Mais nous avons su rebondir et nous avons changé et inventé des modalités nouvelles de travail pour maintenir le lien et l’étude de la psychanalyse. J’aimerais que chacune et chacun de nous s’exprime lors de l’AGO, avec une parole libre, pour converser sur notre association, sur nos vecteurs, de nos difficultés et de nos désirs mais aussi de nos projets pour la période complexe que nous traversons, pour nous projeter et propulser vers l’avenir.

L’Envers de Paris, en partenariat avec l’ACF-IDF, a le plaisir de vous inviter jeudi 4 mars à 21h00 à une conversation avec Francesca Biagi-Chai, psychanalyste-psychiatre, membre de l’ECF, autour de son dernier livre Traverser les murs : la folie, de la psychiatrie à la psychanalyse, ouvrage préfacé par Jacques-Alain Miller. Cette soirée a été conçue à travers un travail de cartel réalisé par Beatriz Gonzalez-Renou, Laura Vigué et Xavier Gomichon. Nous serons accompagnés de Sylvia Lacarrière, comédienne, qui lira quelques passages de l’ouvrage.

La rencontre se fera par visioconférence sur inscription préalable en adressant un mail en cliquant sur ce lien>>

Nous avions voulu créer une communauté de travail dans notre association ; voici le moment d’annoncer notre première soirée de la série des rencontres prévues et organisées par L’Envers de Paris en 2021 avec la participation transversale de plusieurs Vecteurs, groupes et cartels qui se sont mis au travail sur le thème des « épars désassortis de la globalisation : nouvelles angoisses, nouvelles solitudes, nouveaux nouages avec la psychanalyse ». Pour cette première soirée qui se tiendra par Zoom jeudi 8 avril à 21h00, nous avons le grand plaisir de compter sur la participation de Sonia Chiriaco à notre débat ; avec les interventions d’Adela Bande-Alcantud, Cincia Crosali, Romain-Pierre Renou et moi-même.

Pour participer à cette soirée vous pouvez vous inscrire en adressant un mail via ce lien>>

Une deuxième soirée sur notre thème « épars désassortis de la globalisation » est prévue le jeudi 24 juin, organisée par le Vecteur Lectures Cliniques ; une troisième soirée sera organisée vers la fin septembre par le Séminario Latino. Et une suite sera donnée à cette série au cours du dernier trimestre lors d’une quatrième soirée intercartels.

Et voici les propositions de travail dans nos groupes et Vecteurs pour ce mois de mars :

Hélène de La Bouillerie et Philippe Benichou nous donnent des nouvelles du Collectif Théâtre et Psychanalyse : la pièce Coriolan prévue au Théâtre de la Bastille ayant été annulée, notre vecteur a organisé une rencontre-débat par Zoom le dimanche 31 janvier avec Pascal Pernot comme invité, en proposant de visionner préalablement la pièce sur internet. Le collectif se réunira par Zoom le vendredi 5 mars pour travailler sur la biographie d’Ingmar Bergman et son ouvrage Laterna Magica, en vue de la préparation d’une rencontre autour de Fanny et Alexandre, mis en scène à la Comédie Française et disponible gratuitement sur Culture box. Si vous voulez participer à nos réunions, qui sont ouvertes, pour échanger sur la lecture de cette œuvre autobiographique et préparer le débat contacter, contacter Philippe Benichou par mail>>

 Niels Adjiman, pour le Vecteur Lectures freudiennes, nous informe que le travail de relecture de la traduction des articles de Freud, en vue de leur publication bilingue, continue tranquillement mais résolument. La relecture se concentre actuellement sur Konstruktionen in der Analyse. Le Savoir freudien se déploie essentiellement autour du Mitteilung, c’est-à-dire autour du mi-dire de l’analyste, part qui lui revient en propre. La prochaine séance aura lieu le 7 mars. Pour nous contacter : 06 47 13 89 91.

Le Vecteur Psynéma nous invite à travailler avec eux. L’étude des films de Friedkin nous a mené à ce que Lacan a nommé dans Télévision « la malédiction sur le sexe », assonant très singulièrement chez le cinéaste avec le démoniaque, dont fait état par ailleurs Lacan dans son texte des Écrits intitulé « Du Trieb de Freud et du désir du psychanalyste » ; malédiction opposée dans l’expérience analytique à l’éthique du bien-dire renouant d’une autre façon ce qui s’inscrit comme destin démoniaque et tragique. Le cours de Jacques-Alain Miller intitulé « Le tout dernier Lacan » nous a servi à cet égard de boussole. Des textes à venir feront le point sur nos recherches. Le Vecteur Psynéma poursuivra, lors de sa prochaine séance, son travail sur le film L’autre côté de l’espoir d’Aki Kaurismäki, bouclant ainsi l’étude d’une série de quatre films consacrés au thème de l’exil et des frontières. Que nous enseigne ce singulier film sur ces problématiques contemporaines ? Nous inscrirons la suite de nos travaux dans le thème des J51 de l’ECF intitulées « La norme mâle ». Nous nous appuierons sur un corpus de textes lacaniens ciblés, et une série de films dont la composition est en cours d’élaboration. Des leçons du mystérieux séminaire de Lacan Les non-dupes errent consacrées à la problématique de la norme et du nœud, puis des passages du texte « L’étourdit » relatifs aux formules quantiques de la sexuation sont déjà mis à l’étude. Notre prochaine réunion se tiendra le 13 mars à 15h00. Pour ceux qui veulent participer aux travaux de Psynéma, contacter Maria-Luisa Alkorta par mail>> ou Karim Bordeau par mail>>

 Le vecteur Seminario Latino de L’Envers de Paris va se réunir en mars afin de continuer la préparation des deux prochaines soirées qui se dérouleront par Zoom en avril puis en mai. Nous poursuivons aussi nos réflexions autour de la problématique des nouages des subjectivités contemporaines et l’impact du discours du maître contemporain et ses effets sur le parlêtre à l’instar des nouveaux symptômes dans l’ère de l’Un-tout-seul du monde de la globalisation. Pour participer, contacter Patrick Almeida par mail>>

 Le Vecteur Psychanalyse et Littérature se réunira par Zoom le vendredi 19 mars à 20h00. Lors de cette réunion, nous nous enseignerons du travail du langage de Nathalie Sarraute visant à « investir dans le langage une part, si infime fut-elle, d’innomé »[i]. Ne cessant de faire apparaître dans son écriture le manque de l’Autre par un suspens du sens, elle traite la jouissance vivante de son corps qui surgit de ce vide à partir du Trait Unaire et de l’accroche de la lettre et investit une part irréductible de cette jouissance dans sa langue singulièrement articulée et subjectivée. A notre XXIe Siècle qui veut ignorer le manque de l’Autre avec des objets a prêt-à-consommer, N. Sarraute oppose son consentement à l’Autre qui n’existe pas, l’écrit d’une lettre et affirme ainsi l’indestructibilité de son désir. Ce vendredi 19 Mars, nous interrogerons pas à pas le texte d’Isabela Otechar « Le dire à la lettre » où elle déplie comment, dans Ouvrez, N. Sarraute fait résonner l’énigme de son corps pulsionnel dans un dire qui ne se dit pas mais s’écrit d’une lettre. Pour participer à nos réunions contacter Marie-Christine Baillehache par mail>> ou par télephone : 06 42 23 37 03.

Genevieve Mordant nous donne des nouvelles du Vecteur Le corps pas sans la psychanalyse. Pour engager notre réflexion sur le thème « Du corps pulsionnel en pandémie », nous sommes repartis du signifiant d’Antigone (Séminaire VII) qui connecte les questions de la Loi dans la Cité, du Désir (« ne pas céder sur… ») et de la Jouissance liée aux pulsions de vie et de mort. Comment le cas d’Antigone peut-il résonner au temps présent, pour mettre en rapport, autour du Corps, la Pulsion, la Violence et la Transgression ? Prochaine visioréunion le Jeudi 25 mars à 20h30. Contact : Geneviève Mordant par mail>>

Le Vecteur Lectures cliniques continue d’organiser des réunions mensuelles par Zoom et poursuit son travail. Nous expérimentons ainsi ces nouvelles modalités d’échange et de discussion. Comme les fois précédentes, la séance s’ouvrira avec un « flash » proposé par un membre de la commission d’organisation sur le texte « Intuitions milanaises » de J.-A. Miller (Mental, n° 11&12). Nous poursuivons la lecture de l’ouvrage de J.-A. Miller, L’os d’une cure (Navarin, 2018) : deux participants exposeront leur lecture de la troisième partie. La deuxième partie de la séance sera consacrée à la présentation, suivie d’une discussion d’un cas clinique par une autre participante. Contact : Adela Bande-Alcantud par mail>>  ; et Pascale Fari par mail>>

Voici donc ce programme pour le mois de mars, et en espérant nous rencontrer tous ensemble, converser et débattre de L’Envers de Paris lors de notre Assemblée Générale le mercredi 24 mars à 21h00 par Zoom.

A très bientôt,

Marga Auré

[i] Nathalie Sarraute, « Ce que je chercher à faire », Œuvres Complètes, Paris, La Pléiade, Gallimard, 1996, p. 1702.