Les cartels de L’Envers de Paris 2020

Les cartels de L’Envers de Paris 2020

Rentrée des cartels du 15 octobre 2020

Par Marga Auré

Cette soirée de rentrée des cartels est l’occasion de souligner leur importance, et dans la formation des analystes, et dans l’École, et plus concrètement, dans la politique de l’École. Le cartel en est en effet l’organe de base et, avec le contrôle et la passe, constitue l’un des trépieds de la formation de l’analyste.

 Pour introduire l’importance des cartels dans la politique de l’école il nous faut tout d’abord rappeler le contexte historique de la création de cet organe de base par Lacan, et plus particulièrement faire référence à l’« Acte de fondation »[i] de son École, l’EFP (École française de psychanalyse), en 1964, dans lequel il renvoie très spécialement à la constitution des cartels.

Lacan avait créé le 18 juin 1953 avec Daniel Lagache la SFP (Société française de psychanalyse). Cette association de psychanalyse avait été créée suite au désaccord politique et conceptuel qui les opposait à la SPP, (Société de psychanalyse de Paris) présidée alors par Sacha Natcht. Lacan prenait ses distances avec les thérapies du moi, l’egopsychology, et défendait l’analyse profane – élargissant le spectre de la formation des analystes au-delà des médecins tel que l’IPA postulait. Lacan demandait dès les premiers temps de la fondation de la SFP la reconnaissance de son groupe au sein de l’IPA (International Psychoanalytical Association). De 1953 à 1963 Lacan poursuivit son enseignement tout en demandant régulièrement la reconnaissance de son groupe (SFP) au congrès international de l’IPA, tous les deux ans ; cette reconnaissance était déclinée à chaque fois.

Rappelons qu’en 1961 Lacan, tout comme François Dolto, avaient été exclu du circuit de formation de l’IPA, soit exclus de la liste des analystes didacticiens de l’IPA – ainsi qu’on les appelait à l’époque. Ces analystes didacticiens étaient les garants, selon l’IPA, de la bonne formation au sein de leur association. Et deux années plus tard, en novembre 1963, lors du Congrès de Stockholm en Suède, le comité de l’IPA prononça l’exclusion définitive de la SFP fondée par Lacan en 1953 avec la mention : « pour toujours ». Lacan fut donc excommunié à cette date de l’IPA, et la SFP a été dissoute cette même année. Toujours en novembre 1963, Lacan avait interrompu pendant deux mois son enseignement pour ne reprendre son séminaire qu’à partir de janvier 1964 à l’École Normale de Paris, invité par Althusser, et débutant son séminaire, le XIe, ayant pour titre Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.

 Ce n’est donc que quelques mois plus tard, en juin 1964, que Lacan, prenant acte de la situation politique, fonde son école, l’École française de psychanalyse et ce, à la première personne : « Je fonde – aussi seul que je l’ai toujours été dans ma relation à la cause analytique – l’École française de psychanalyse »[ii]. Et il ajoute que dans cette École « doit s’accomplir un travail – qui dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité »[iii] dénonçant les déviations et les compromissions qui dégradaient l’association, faisant référence à l’envahissement du champ freudien par l’egopsychology qui venait des États-Unis tout autant qu’aux clans et aux systèmes de pouvoir qu’il voulait éviter dans sa nouvelle École.

 Lacan lance son opération de reconquête du socle freudien par cet Acte de fondation où il donne une place prioritaire au cartel. Le cartel est conçu comme la cellule d’exécution du travail dans une École dont « l’objectif de travail est indissoluble d’une formation à dispenser dans ce mouvement de reconquête »[iv]. Le cartel est donc l’organe base d’un travail engagé pour la reconquête freudienne. Lacan adopte pour principe de l’exécution de ce travail « l’élaboration soutenue dans un petit groupe », qu’il appellera le cartel. Chaque cartel, poursuit Lacan, « se composera de trois personnes au moins, de cinq au plus, quatre est la juste mesure. plus une, chargée de la sélection, de la discussion et de l’issue à réserver au travail de chacun »[v]. C’est-à-dire quatre personnes, plus une, qui se mettent ensemble pour travailler autour d’un sujet et provoquer chacun individuellement son élaboration. Pourquoi un groupe de petite taille ? Un groupe de petite taille permet mieux l’étude, le questionnement, la conversation, la discussion et le débat. Il facilite la circulation de la parole et donne plus de liberté d’expression pour chacun. Par ailleurs ce sont des groupes ouverts non seulement aux analystes et analysants mais aussi à toute personne qui s’intéresse à l’étude de la psychanalyse.

Le cartel n’est pas seulement l’élément primordial de formation dans l’École mais il est aussi un principe d’engagement avec l’École. Chacun peut s’engager dans l’École par la voie d’un travail en cartel.

[i]. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 229-242.

[ii]. Ibid., p. 229.

[iii]. Ibid.

[iv]. Ibid.

[v]. Ibid.

La Lettre du DIALOGUE de François Cheng

La Lettre du DIALOGUE de François Cheng

Par Philippe Doucet

Durant ce mois de confinement d’avril, les désirs de savoir de chacun se sont poursuivis avec assiduité et accompagnés par nos échanges soutenus par mails et par téléphone, autour de la fonction de la Lettre, en tant qu’elle assure la rupture des semblants et la condensation de jouissance sur la matérialité du langage. Le texte de Philippe Doucet rend compte de la manière dont François Cheng, dans Le Dialogue, fait usage poétiquement de la lettre pour littéralement créer sa langue singulièrement neuve.

Durant ce mois de mai, notre Vecteur continuera d’animer notre confinement de nos désirs singuliers et résolus, à partir de la lecture qu’Isabela Otechar nous proposera du Dialogue de F. Cheng et orientés par le cours du 12 Mai 1971 du Séminaire XVIII D’un discours qui ne serait pas du semblant de Lacan.

Marie-Christine Baillehache

Pour tout contact :     cliquer ici>>  

0642233703

La Lettre du DIALOGUE de François Cheng

Philippe Doucet

« Il suffit d’écouter la poésie […] pour que s’y fasse entendre une polyphonie et que tout discours s’avère s’aligner sur les plusieurs portées d’une partition. »[i]

À la toute fin de son livre Le Dialogue, F. Cheng reprend la calligraphie qu’il a crée lui-même pour accompagner le titre de son recueil et explique qu’il y a fondu dans une seule calligraphie les deux idéogrammes que sont « le chinois 汉 » et « le français 法 ». Cette opération est rendue possible du fait que les deux caractères possèdent la même clé, celle de l’eau, à savoir trois points superposés côté gauche. À cette clé se rajoutent les éléments côté droit qui désignent respectivement « le chinois », han (anciennement le nom d’une rivière) et fa pour « le français » qui désigne la loi, car « une eau vive qui coule incarne la loi naturelle de la vie »[ii]. Cette calligraphie, souligne F. Cheng, symbolise à merveille son identité de poète, celle d’un « homme aux eaux souterrainement mêlées »[iii].

La calligraphie, précise-t-il, est un art fondé sur l’idée du souffle et dont la « visée suprême, à travers chaque caractère, qui est un réseau de traits organisés autour d’un centre, est d’atteindre une présence charnelle animée par la résonnance rythmique. »[iv] En faisant de son propre dialogue entre la langue chinoise et la langue française une calligraphie, il fait de ce dialogue une écriture de la Lettre. Excédant le sens du signifiant qui fait le titre de son livre, la calligraphie, comme écriture, annonce avec la force d’un trait de jouissance, ce dont il sera question dans ce livre même : la lettre poétique. Les deux « clés similaires fondues dans la calligraphie produisent un effet inédit de vraie joui-sens »[v].

 En 1971 dans Lituraterre, Lacan s’intéresse à la calligraphie en tant qu’elle est un usage de la Lettre dont la fonction, par un bord, est de rompre le signifiant. « J’en dirai le fait de ce que la peinture y démontre de son mariage à la lettre, très précisément sous la forme de la calligraphie. »[vi]

C’est à partir de cette fonction de la Lettre, dont la calligraphie est un usage, que Lacan interroge l’art littéraire. « Est-il possible du littoral de constituer tel discours qui se caractérise de ne pas s’émettre du semblant ? Là est la question qui ne se propose que de la littérature dite d’avant-garde, laquelle est elle-même fait de littoral : et donc ne se soutient pas du semblant, mais pour autant ne prouve rien que la cassure, que seul un discours peut produire, avec effet de production. »

Cette rupture du semblant par la Lettre est ce qu’effectue F. Cheng à partir de sa pratique de la calligraphie chinoise. Il effectue une rature en supprimant un des caractères de chaque idéogramme et dans le même mouvement il amalgame la clé de l’eau commune aux deux caractères distinctifs que sont han et fa. Il effectue une même rupture et un même amalgame pour produire son nouveau prénom et son nouveau nom au moment de sa naturalisation française. Cheng Chi-hsien devient François Cheng, en référence, précise F. Cheng, à Saint François d’Assise. On ne peut qu’être sensible également à l’homophonie du prénom François avec le mot Français et au passage de son prénom chinois Cheng à son nom français Cheng ; ce qui fait de son prénom et de son nom nouvellement choisi l’enjeu même de la Lettre comme le fait la calligraphie de son livre Dialogue. François Cheng est le nom hors-sens du dialogue entre les deux langues le chinois/Cheng et le français/François. Elégante façon pour l’auteur d’être. 

« [d’être] Habité à présent par l’autre langue, sans que cesse en lui le dialogue interne, l’homme aux eaux souterrainement mêlées vit l’état privilégié d’être constamment soi et autre que soi, ou alors en avant de soi. »[vii]

 Le thème du dialogue et la lettre

Ce dialogue entre deux langues est pour F. Cheng la mise en jeu même du littorale de la Lettre et dans le même mouvement est la source « d’exaltation et de ravissement chaque fois que la symbiose patiemment recherchée, se réalisait comme par miracle, une symbiose qui, en fin de compte, m’a porté et continue à me porter bien plus loin que ce que je pouvais présager au départ. »[viii]

Les mots soulignés font référence à une jouissance et sont clairement du côté du vocabulaire mystique. Le dialogue dont il s’agit n’est pas le dialogue platonicien, l’échange raisonné avec autrui, le discours ordonné du semblant. C’est un dialogue que F. Cheng entretient en lui-même, de façon autistique, entre la Lettre de deux langues et ce dialogue de lettre à lettre produit un effet de jouissance. Dans son article « Lire un symptôme », Jacques-Alain Miller rappelle ce rêve de Lacan en matière de langage : atteindre à un discours qui ne serait pas du semblant, « qui serait du réel », comme en mathématiques :

« Comment en mathématiques accède-t-on au réel, par quel instrument ? On y accède par le langage sans doute mais un langage qui ne fait pas écran au réel, un langage qui est le réel. C’est un langage réduit à sa matérialité, c’est un langage qui est réduit à sa matière signifiante, c’est un langage qui est réduit à la lettre. Dans la lettre […] ce n’est pas l’être, being, qu’on trouve, […] c’est the real» [ix]

François Cheng atteint cette matérialité signifiante du mot qui touche au réel hors-sens et en éprouve « cette ivresse de re-nommer les choses à neuf, comme au matin du monde. »[x] Le fait d’habiter à l’origine sa langue chinoise idéogrammatique lui permet d’atteindre le pouvoir créateur de la Lettre de la langue française et d’en éprouver l’effet de jouissance.

« Comme je suis façonné par l’écriture idéographique où chaque signe forme une unité vivante et autonome, j’ai une sensibilité particulière pour la sonorité et la plasticité des mots. J’ai tendance, tout bonnement à vivre un grand nombre de mots français comme des idéogrammes. […] est phonétiquement qu’ils incarnent l’idée d’une figure. »[xi]

Il s’agit pour lui de « mettre à distance la parole et le sens [et d’écrire] à partir de l’écriture comme hors sens, […] comme lettre, à partir de sa matérialité. »[xii]

Ainsi invite-t-il son lecteur à savoir lire au-delà du sens et au plus près du centre opaque de jouissance que les jeux de la Lettre réveillent en lui. Il vise l’initiation de son lecteur à la lecture d’une écriture. Son travail d’écriture poétique, qui se centre sur les phonèmes avec leurs sonorités particulières entendues comme les caractères d’un idéogramme sonore, est une écriture de la jouissance de la Lettre. Le phonème n’a pas de sens en lui-même, il est hors sens tout en étant le trait signifiant lié à une dynamique pulsionnelle qui devient la source de la création d’un sens singulièrement nouveau.

Parmi les nombreux poèmes du recueil de F. Cheng, je choisis le poème Entre qui résonne pour moi plus singulièrement :

« Il y a ce son suspendu en l’air (-EN) et qui semble, tel un aigle attendre la moindre occasion pour pénétrer (-TRE) dans la brèche ouverte par l’espace lorsque deux entités sont en présence, quelle que soit l’intention qui les anime, hostile ou harmonieuse. On connaît l’importance accordée par la pensée chinoise à ce qui se passe entre les entités vivantes, cernées par la notion du Vide-médian, tant il est vrai que c’est bien dans l’entre qu’on entre, qu’on accède éventuellement au vrai. »[xiii]

C’est parce que les phonèmes sont hors sens qu’ils entrent-deux, comme fait un littoral qui n’est ni eau ni terre, et qu’ils abolissent la frontière syntaxique et lexicographique propre au fonctionnement autoritaire de la chaîne signifiante pour produire du nouveau singulier.

Entre

Le nuage

            Et l’éclair

Rien

Sinon le trait

            De l’oie sauvage

Sinon le passage

Du corps foudroyé

            Au royaume des échos

Entre

 

La structure du poème a cette forme :

Entre ————- Le trou dans l’Autre.

Le nuage ——– Le Signifiant.

Et l’éclair ——- Le Réel.

Rien ————– Le vide.

Sinon le trait de l’oie sauvage —————- La Lettre.

Sinon le passage du corps foudroyé ——— Le désir métonymique et son objet cause.

Au royaume des échos ————————– L’équivoque signifiante.

Entre ———————————————– Ce qui ne cesse pas de s’écrire.

En jouant sur l’équivoque de sens du mot Entre, ce poème de F. Cheng rompt un semblant et dans ce vide creusé dans l’Autre, S (A/), mobilise la jouissance de corps de la Lettre pour ne pas cesser d’écrire Autre Chose qui se fait entendre entre les lignes. Pour F. Cheng l’écriture poétique est cet acte charnel qui associe nue et nuée « puisque de tout temps nue et nuéesont associées aussi dans la tradition poétique chinoise. On y use de l’expression nuage-pluie pour désigner l’acte charnel. »[xiv]

« Aux imminentes nues

La terre soudain s’ouvre aux larmes

Proche du corps du cœur

Pluies de pétales, extases d’étoiles »[xv]

 

[i]. Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Écrits I, Paris, Seuil, Points Essais, p. 498

[ii]. Cheng F., Le Dialogue, Paris, Desclée de Brouwer, Presses littéraires et artistiques de Shanghai, 2002, p.  94.

[iii]. Ibid., p. 95.

[iv]. Ibid., p. 95.

[v]. Ibid., p. 5.

[vi]. Lacan J., « Lituraterre », Littérature, n°3, Octobre 1971, Paris, Larousse, pp. 3-10.

[vii]. Cheng F., Le Dialogue, op. cit., p. 79.

[viii]. Ibid., p. 8. (C’est moi qui souligne)

[ix]. Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental, n°26, juin 2011.

[x]. Cheng F., Le Dialogue, op. cit., p. 38.

[xi]. Ibid., p. 40.

[xii]. Miller, J.-A., « Lire un symptôme », op. cit .

[xiii]. Cheng F., Le Dialogue, op. cit., p. 46.

[xiv]. Ibid., p. 51.

[xv]. Ibid.

Cartello N°28

Cartello N°28

Ni plus, ni moins : du pas-tout dans le savoir

Par Maria Novaes

Le thème du savoir s’est révélé au cœur de mon dernier travail en cartel, non seulement par rapport à la lecture du Séminaire Encore – autour duquel ce cartel s’est mis au travail – mais aussi par rapport à une question qui me traversait dont je ne soupçonnais pas les ressorts.

J’essaierai ici d’articuler cette dernière expérience de cartel à la question du féminin, à partir de la formulation de Lacan de pas-tout, présente dans ce Séminaire. Non seulement à travers le « pas toute dans le savoir », comme l’indique le titre de cette soirée, mais aussi à partir d’une citation de ce même Séminaire qui me semble être une voie possible pour l’articuler avec le travail de cartel.

Lacan, dans la deuxième partie du chapitre V de ce séminaire, parle de deux manières de rater le rapport sexuel : la façon mâle de tourner autour, et l’autre, « comment, de la façon femelle,  ça s’élabore. Ça s’élabore du pas-tout », dit-il. Plus tard, il affirme que « c’est de l’élaboration du pas-tout qu’il s’agit de frayer la voie. C’est mon vrai sujet de cette année, derrière cet Encore, et c’est un des sens de mon titre. Peut-être arriverai-je ainsi à faire sortir du nouveau sur la sexualité féminine »(1).

Le sujet de l’élaboration m’a tout de suite renvoyée au texte de Jacques-Alain Miller, issu de son intervention lors d’une soirée de cartels en 1986, sur ce qu’il a présenté comme les cinq variations sur le thème de l’élaboration provoquée(2). Il y affirme, d’emblée, qu’une élaboration est toujours provoquée. Comment l’articuler avec l’élaboration du pas-tout dont parle Lacan dans Encore, au cœur même de ce terme, comme évoqué ci-dessus ?

L’élaboration provoquée résume bien le dispositif du cartel, pour le dire en quelques mots. À la place de l’agent, nous avons le sujet, en tant que divisé, « portant l’interrogation », qui interpelle les autres membres du cartel à partir de leur traits propres, leurs insignes, signifiants-maîtres, pour produire un savoir. L’objet doit aussi être à sa juste place, c’est-à-dire qu’il n’est pas du côté du plus-Un. Ce dernier ne s’approprie pas l’effet d’attrait, mais il doit le référer ailleurs, à Freud et à Lacan en l’occurrence.

Miller précise ainsi que le discours hystérique est celui qui convient le mieux à la structure du cartel : comme dans l’enseignement de la psychanalyse, par le transfert de travail, l’analyste y est en tant qu’analysant ; c’est de cette place qu’il obtient « qu’on s’y mette », ce que Lacan a appelé aussi induction (3). La place du Plus-Un donc n’est pas celle du sujet supposé savoir, mais de celui qui prend sur lui la division subjective, d’insérer dans le cartel l’effet de sujet. Miller énonce sur le Plus-Un qu’il « s’ajoute au cartel qu’à le décompléter, de devoir s’y compter et d’y faire fonction de manque ». En savoir plus>

 


Cartello n°28

(1) Lacan, J. Le Séminaire livre XX, Encore, Paris Seuil, 1975. Chapitre V, partie 2

(2) Miller, J.-A., https://www.causefreudienne.net/cinq-variations-sur-le-theme-de-lelaboration-provoquee/, intervention du 11 décembre 1986.

(3) Miller, J.-A. « L’École, le transfert et le travail », La Cause du désir n.99, Paris, Navarin Editeur, 2018.

Édito Janvier 2020

Édito Janvier 2020

Chers membres et amis de L’Envers de Paris,

Nous voici en 2020 ! Très bonne année à chacune, à chacun !

La nécessité si humaine de compter et de chiffrer le temps donne une cadence au désir, et introduit la nouveauté.

Voici quelques jours Laurent Dupont, président de l’ECF et de l’Envers de Paris, adressait ses vœux à celles et ceux qui font vivre l’École fondée par Jacques Lacan, et dont voici quatre décennies Jacques-Alain Miller se fît l’architecte.

Un détail fait son chemin depuis quelques mois. Un détail qui compte, car il est justement fabriqué de temps et de désir pour la psychanalyse : en 2020, cela fait 25 ans que l’Envers de Paris a vu le jour, sous l’impulsion de l’ECF. Lors de la dernière réunion avec le Bureau élargi, nous avons eu une pensée toute particulière en souvenir de Pierre Thèves, qui en fut le premier directeur et qui a su insuffler à L’Envers de Paris ce qui fait son style et son élan, toujours porté vers le dialogue entre la psychanalyse d’orientation lacanienne et les disciplines qui lui sont affines.

Ce changement d’année marque aussi l’heure de la permutation de nos instances associatives. Le Conseil de l’EdP communiquera sous peu à propos de la prochaine équipe de direction.

Pour le moment, voici l’agenda pour ce mois de janvier :

Le collectif Lectures Freudiennes se réunira ce lundi 6 janvier pour poursuivre la lecture et la traduction du texte de Sigmund Freud Psychologische Ergänzung zur Traumlehre – Complément métapsychologique à la doctrine du rêve -, rédigé en 1916.

Le vecteur Clinique et addictions-TyA propose un nouveau cycle dont le fil rouge est « Les addictions : symptôme et jouissance ». Dans l’argument vous lirez l’une des questions que pose Pierre Sidon : « que faire lorsque la consommation, fait courant, ne fait pas symptôme » pour le dit addict ? Première soirée le lundi 13 janvier à 20h30. Avec l’intervention de Mathilde Braun

L’Envers de Paris recevra Jorge León autour de son film Mitra (2018). Ce long métrage est inspiré par la demande d’aide que Mitra Kadivar avait adressée à Jacques-Alain Miller en 2012. Leur correspondance a été publiée par l’Institut Lacan(1). Nos collègues Nathalie Georges, Christiane Page et Agnès Vigué-Camus sont à l’origine de cette soirée. La projection de Mitra sera suivie d’une conversation avec Jorge León et Hervé Castanet*, animée par Nathalie Georges. Nous vous attendons nombreux le Jeudi 16 janvier 2020 à 20h30, aux Ateliers Varan.

En ce début d’année, le collectif Théâtre et Psychanalyse propose deux rencontres remarquables. Tout d’abord autour de Hamlet, d’après William Shakespeare. La représentation sera suivie d’une conversation entre Thibaut Perrenoud, metteur en scène, et Philippe La Sagna*. Le jeudi 16 janvier à 20h, au Théâtre de La Bastille.

Ensuite, ce sera autour d’une autre grande pièce : Phèdre, de Jean Racine. Suivie d’une rencontre avec Brigitte Jaques-Wajeman, metteuse en scène, François Regnault* et Patricia Bosquin-Caroz*. Le samedi 25 janvier à 20h, au Théâtre des Abbesses.

Philippe Benichou animera ces deux événements.

Le vecteur Seminario Latino de Paris tiendra sa 3ème soirée, cette fois en espagnol, autour du thème « Clinique contemporaine entre l’adolescence et les troubles alimentaires ». Damasia Amadeo de Freda parlera de “Nuevos síntomas: Bullyng, Ni-Ni y cutting en los adolescentes”, et Domenico Cosenza de “La comida y el inconsciente”. Patrick Almeida et Soledad Peñafiel animeront la soirée. Mercredi 22 janvier à 21h. Maison de l’Amérique Latine.

Le séminaire Les enfants de la science tiendra sa 2ème Journée d’études sous le titre « Dons de gamètes et d’embryons, et filiation ». Avec Pr François Ansermet*, Nouria Gründler*, Pr Catherine Patrat et Pr David Cohen. Le vendredi 24 janvier de 9h à 18h30. Amphithéâtre Jean Dausset, Groupe Hospitalier Port-Royal Cochin.

Le vecteur Psynéma organise la projection de  A Touch Of Sin (2013), de Jia Zang-Ke. Elle sera suivie d’un débat avec Anne Ganivet-Poumellec*. Dans son argument, Karim Bordeau fait valoir l’engagement politique du réalisateur, qui dans cet opus dresse le portrait d’une Chine dont « la place dans le monde fait symptôme ». Samedi 25 janvier à 14h. Au Patronage laïque Jules Vallès.

Marie-Christine Baillehache nous fait parvenir le texte « Des pensées pas-folles-du-tout », avec lequel le vecteur Littérature et Psychanalyse conclut son cycle de travail autour de l’écriture de Nina Baraoui.

Quant au vecteur Le corps, pas sans la psychanalyse, vous pouvez lire le texte « La femme Paul B. Preciado », signé par Maro Rumen-Doucoure.

Comme vous le savez, le numéro spécial Horizon 64 / Confluents 72 La psychiatrie affolée qui réunit l’ensemble des contributions de la série des conversations « La psychiatrie, aujourd’hui et demain : quelle place pour la psychanalyse ? » est disponible sur ecf-echoppe.com. N’hésitez pas à le faire savoir !

Et enfin, un rendez-vous à ne pas manquer aura lieu le samedi 1er février à la Maison de la Chimie. Il s’agit de la journée Question d’École dont le thème : La puissance de la parole permettra d’aborder une question cruciale pour la psychanalyse d’orientation lacanienne. Pour s’inscrire>  

Nous vous souhaitons une bonne continuation à L’Envers de Paris pour le cycle à venir !

Agnès Bailly, Hélène de La Bouillerie, Stéphanie Lavigne et Beatriz Gonzalez-Renou,
membres du Bureau sortant.

 *Psychanalyste membre de l’ECF.

(1) Lacan Quotidien> 

Question d’Ecole : Puissance de la parole…

Question d’Ecole : Puissance de la parole…

Puissance de la parole
Clinique de l’Ecole

                                                                                                                           « Ma première pratique s’est réglée sur le désir, entendu comme ce qu’il s’agit d’interpréter, sans pour autant méconnaître que c’est aussi bien le faire être. L’interprétation en cela est créationniste. Elle institue une certaine puissance de la parole, qu’il faut sans doute apprendre à acquérir, comme cela s’enseigne dans les contrôles[1] ».
Voilà une orientation sur la pratique : l’interprétation du désir repose sur une puissance de la parole en cela créationniste. Cette première pratique, Jacques-Alain Miller ne propose pas de l’abandonner, mais de ne pas s’y régler.
Que signifie ne pas se régler sur l’interprétation du désir ?
Deux indications importantes : « Puissance de la parole, qu’il faut sans doute apprendre à acquérir » et « ce qui s’enseigne dans les contrôles {…} essentiellement, ce que l’on tente de lui transmettre, c’est la méthode permettant à sa parole d’acquérir de la puissance ». Il ne s’agit donc pas d’une pratique de l’interprétation qui viendrait à la place d’une autre, mais bien d’un au-delà de la parole créationniste. Néanmoins, pour cette visée, la méthode est « élémentaire, elle se laisse ramener à ceci – il faut apprendre à se taire. C’est qu’il faut que la parole soit rare pour qu’elle puisse porter[2] ».
Qu’est-ce que l’on écoute quand quelqu’un vient parler de sa pratique ? Comment apprendre la rareté de la parole, avec quelle mesure ? Et sur quoi se régler ? Ici s’introduit la question de la jouissance.
Se régler sur la jouissance a une conséquence : « là, vous devez vous désister de toute intention créationniste, vous faire humble[3] ». Humble implique alors de se délester de la puissance, de la puissance de la parole, mais alors de quelle place écoute-t-on les sujets qui viennent nous parler ? Une erreur serait de croire que l’analyste maîtriserait sa puissance de parole. Ce n’est qu’à considérer l’effet de surprise et de vérité qui saisit le sujet lui-même, que l’on peut juger de la puissance de l’acte de parole. Même dans le registre de la parole, l’analyste doit se faire humble et rare.

Dès lors la question de l’interprétation se présente à deux niveaux : au niveau de l’être, là où l’effet de vérité fait hystoire[4] et au niveau de l’existence, là où la jouissance se cerne au plus près de chaque Un. « Interpréter, le mot ici défaille, et il faudrait lui en substituer un autre comme cerner, constater[5] ». À cet endroit les Analystes de l’École peuvent témoigner de ce double mouvement, effet de vérité dans l’hystoire, vérité toujours menteuse au regard de cette singularité du sinthome. Ils nous enseignent sur le moment créationniste de la parole, où le roman du blabla se condense dans un ou quelques noms et où le fantasme se réduit à une phrase, un signifiant. Il y a un au-delà, au-delà de l’effet obtenu par la puissance de la parole. Il s’agira plutôt de lire l’impact, la trace dans le corps, de la rencontre initiale du signifiant. Lire, ce n’est déjà plus « puissance de la parole », car lire est souvent silencieux, lire implique une écriture, trace dans le corps de la jouissance Une. Il y a donc à s’enseigner des AE, des conséquences de la puissance de la parole et au-delà, de l’indice du réel à cerner.

Le cartel implique le mouvement des corps et la puissance de la parole. C’est ce qui le distingue du travail du texte sous la lampe, dans la solitude. Quels effets ? Qu’est-ce qui se joue de la puissance de la parole quand le texte rencontre la voix qui dit et que d’autres corps en présence résonnent de cette expérience ? Quel usage de la parole faisons-nous à ce moment ? Faisons le pari de montrer combien le cartel, cette invention de Lacan, est subversive et pourquoi elle participe de la formation de l’analyste.

Nous vous attendons nombreux pour cette Question d’École, où le tranchant de notre pratique est toujours au rendez-vous, au rendez-vous de la psychanalyse lacanienne.

[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, L’Un-tout-seul », cours du 11 mai 2011, inédit.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Cf. Lacan., « La proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243-259.
[5] Miller J.-A., op. cit.