Les cartels de L’Envers de Paris 2020
Rentrée des cartels du 15 octobre 2020
Par Marga Auré
Cette soirée de rentrée des cartels est l’occasion de souligner leur importance, et dans la formation des analystes, et dans l’École, et plus concrètement, dans la politique de l’École. Le cartel en est en effet l’organe de base et, avec le contrôle et la passe, constitue l’un des trépieds de la formation de l’analyste.
Pour introduire l’importance des cartels dans la politique de l’école il nous faut tout d’abord rappeler le contexte historique de la création de cet organe de base par Lacan, et plus particulièrement faire référence à l’« Acte de fondation »[i] de son École, l’EFP (École française de psychanalyse), en 1964, dans lequel il renvoie très spécialement à la constitution des cartels.
Lacan avait créé le 18 juin 1953 avec Daniel Lagache la SFP (Société française de psychanalyse). Cette association de psychanalyse avait été créée suite au désaccord politique et conceptuel qui les opposait à la SPP, (Société de psychanalyse de Paris) présidée alors par Sacha Natcht. Lacan prenait ses distances avec les thérapies du moi, l’egopsychology, et défendait l’analyse profane – élargissant le spectre de la formation des analystes au-delà des médecins tel que l’IPA postulait. Lacan demandait dès les premiers temps de la fondation de la SFP la reconnaissance de son groupe au sein de l’IPA (International Psychoanalytical Association). De 1953 à 1963 Lacan poursuivit son enseignement tout en demandant régulièrement la reconnaissance de son groupe (SFP) au congrès international de l’IPA, tous les deux ans ; cette reconnaissance était déclinée à chaque fois.
Rappelons qu’en 1961 Lacan, tout comme François Dolto, avaient été exclu du circuit de formation de l’IPA, soit exclus de la liste des analystes didacticiens de l’IPA – ainsi qu’on les appelait à l’époque. Ces analystes didacticiens étaient les garants, selon l’IPA, de la bonne formation au sein de leur association. Et deux années plus tard, en novembre 1963, lors du Congrès de Stockholm en Suède, le comité de l’IPA prononça l’exclusion définitive de la SFP fondée par Lacan en 1953 avec la mention : « pour toujours ». Lacan fut donc excommunié à cette date de l’IPA, et la SFP a été dissoute cette même année. Toujours en novembre 1963, Lacan avait interrompu pendant deux mois son enseignement pour ne reprendre son séminaire qu’à partir de janvier 1964 à l’École Normale de Paris, invité par Althusser, et débutant son séminaire, le XIe, ayant pour titre Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.
Ce n’est donc que quelques mois plus tard, en juin 1964, que Lacan, prenant acte de la situation politique, fonde son école, l’École française de psychanalyse et ce, à la première personne : « Je fonde – aussi seul que je l’ai toujours été dans ma relation à la cause analytique – l’École française de psychanalyse »[ii]. Et il ajoute que dans cette École « doit s’accomplir un travail – qui dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité »[iii] dénonçant les déviations et les compromissions qui dégradaient l’association, faisant référence à l’envahissement du champ freudien par l’egopsychology qui venait des États-Unis tout autant qu’aux clans et aux systèmes de pouvoir qu’il voulait éviter dans sa nouvelle École.
Lacan lance son opération de reconquête du socle freudien par cet Acte de fondation où il donne une place prioritaire au cartel. Le cartel est conçu comme la cellule d’exécution du travail dans une École dont « l’objectif de travail est indissoluble d’une formation à dispenser dans ce mouvement de reconquête »[iv]. Le cartel est donc l’organe base d’un travail engagé pour la reconquête freudienne. Lacan adopte pour principe de l’exécution de ce travail « l’élaboration soutenue dans un petit groupe », qu’il appellera le cartel. Chaque cartel, poursuit Lacan, « se composera de trois personnes au moins, de cinq au plus, quatre est la juste mesure. plus une, chargée de la sélection, de la discussion et de l’issue à réserver au travail de chacun »[v]. C’est-à-dire quatre personnes, plus une, qui se mettent ensemble pour travailler autour d’un sujet et provoquer chacun individuellement son élaboration. Pourquoi un groupe de petite taille ? Un groupe de petite taille permet mieux l’étude, le questionnement, la conversation, la discussion et le débat. Il facilite la circulation de la parole et donne plus de liberté d’expression pour chacun. Par ailleurs ce sont des groupes ouverts non seulement aux analystes et analysants mais aussi à toute personne qui s’intéresse à l’étude de la psychanalyse.
Le cartel n’est pas seulement l’élément primordial de formation dans l’École mais il est aussi un principe d’engagement avec l’École. Chacun peut s’engager dans l’École par la voie d’un travail en cartel.
[i]. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 229-242.
[ii]. Ibid., p. 229.
[iii]. Ibid.
[iv]. Ibid.
[v]. Ibid.